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laine, au lieu qu’on ne fait que l’appliquer en Saxe. Le roi a acheté ce secret et en a fait présent aux entrepreneurs de Vincennes. L’expérience en a été faite plusieurs fois, et elle a parfaitement réussi. L’inventeur travaille à perfectionner sa découverte, et il espère réussir à donner à l’or, sur la porcelaine, toutes les couleurs qu’il peut prendre ailleurs.

— Comme il n’a paru aucun ouvrage ni bon ni mauvais depuis ma dernière lettre, je vais recueillir ici quelques anecdotes assez singulières sur l’homme de notre littérature le plus décrié : c’est le bonhomme Chapelain. Vous vous rappelez aisément tous les traits qui lui ont été lancés par Despréaux et par tous les autres satiriques de son temps.

La célébrité de Chapelain était si grande que le cardinal de Richelieu, voulant faire la réputation d’un ouvrage, pria le poëte de lui prêter son nom en cette occasion, ajoutant qu’en récompense il lui prêterait sa bourse en quelque autre.

Un jour Chapelain lisait son poëme chez M. le Prince. On y applaudissait et chacun s’efforçait de le trouver beau. Mais Mme de Longueville, à qui un des admirateurs demanda si elle n’était pas touchée de la beauté de cet ouvrage, répondit : « Oui, cela est parfaitement beau, mais c’est bien ennuyeux. »

Chapelain était appelé par quelques académiciens le chevalier de l’ordre de l’Araignée, parce qu’il portait un habit si rapiécé, si recousu, que le fil formait dessus comme une représentation de cet animal. Étant un jour chez M. le Prince, où il y avait une grande assemblée, il vint à tomber du lambris une araignée qui étonna toute la compagnie par sa grosseur. On crut qu’elle ne pouvait venir de la maison parce que tout y était d’une grande propreté. Aussitôt toutes les dames se mirent à dire d’une commune voix qu’elle ne pouvait sortir que de la perruque de Chapelain ; ce qui pouvait bien être, puisqu’il n’avait jamais eu qu’une seule perruque. Chapelain à l’avarice joignait la malpropreté. Balzac contait qu’ayant été dix ans sans le voir, parce qu’ils étaient brouillés, il se raccommoda avec lui, et que, l’étant allé visiter, il le trouva dans sa chambre où il aperçut une même toile d’araignée qui la traversait et qu’il y avait vue avant que d’être brouillé avec lui. Chapelain, pour épargner ses serviettes, avait un balai de jonc sur lequel il s’essuyait les mains.