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oncle, sa maîtresse indignée va le dénoncer au magistrat. Il est pendu, ainsi que sa maîtresse dont on découvre les horreurs par la déposition de ses domestiques. Leur mort est comme elle devait être ; le marchand, revenu à lui-même, meurt en homme vertueux, comme il avait vécu jusqu’au fatal instant où il a connu Milvond. Milvond meurt en personne familiarisée avec le crime. L’abbé Prévost, qui s’est trouvé à Londres lorsqu’on a représenté cette pièce pour la première fois, m’a dit qu’il n’avait jamais vu de spectacle aussi frappant que celui-là. Je n’ai pas éprouvé cette émotion en lisant cette tragédie, mais elle ne m’a pas paru non plus aussi risible que doit l’être naturellement une pièce dont une fille de joie est le personnage principal.

— Les Anglais n’ont pas en leur langue une seule histoire de leur naiion qui soit supportable. Ils ont pourtant deux historiens dont ils font cas et avec raison. Le premier est Clarendon, qui a écrit les Guerres civiles d’Angleterre avec une dignité et une force extraordinaire ; le second, Burnet, qui a jeté beaucoup d’agrément dans l’histoire de son temps ; mais, après tout, ce ne sont que des morceaux. L’esprit de parti a empêché cette nation de pousser le genre historique aussi loin que la plupart des autres belles connaissances. Il paraît aujourd’hui un M. Coste qui a publié en anglais les premiers volumes de l’histoire de sa nation et qui va donner incessamment la suite. Cet ouvrage, qu’on dit profond et exact, manque d’agrément. M. le chancelier a chargé M. l’abbé Prévost, un des hommes de France qui écrivent le mieux, de traduire cette histoire et d’y ajouter cet air lié, correct et élégant, que nous exigeons dans les ouvrages de cette nature. Ce célèbre écrivain va commencer cet important travail. Il est seulement à craindre qu’il ne se hâte trop de finir. C’est sa méthode ; il se contente le plus souvent de donner du médiocre, quoiqu’il soit né pour atteindre la perfection. Nous avons déjà dans notre langue trois ouvrages considérables sur l’Angleterre : 1° les Rèvolulions de ce royaume, par le P. d’Orléans, jésuite. C’est un ouvrage égal ou supérieur à tout ce que je connais par la force du style, par la finesse et la hardiesse des réflexions, par la ressemblance des portraits, par la délicatesse des transitions. C’est dommage qu’il ait gâté sa belle histoire par un défaut de correction, par une crédulité outrée et par une partialité marquée pour les catholiques ; 2° L’histoire d’Angle-