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alors ce prince, votre père serait allé plus loin. — Sire, répliqua-t-il, le père de Votre Majesté était plus honnête que le mien, et n’aurait pas voulu aller si avant. »

Parmi les personnes à qui on proposa le changement de religion, Kirk ne fut pas oublié. Celui-ci répondit en homme de guerre qu’on venait trop tard, qu’il était déjà engagé et qu’il avait promis au roi de Maroc que, s’il changeait de religion, il se ferait mahométan.

Le roi, s’apercevant que le duc de Grafton, fils naturel de Charles II, avait dessein de l’abandonner, lui dit qu’à coup sûr ce ne pouvait être la conscience qui l’obligeait à prendre parti pour les mécontents, puisque l’on pouvait juger par son éducation et encore plus par ses mœurs qu’il ne connaissait pas la religion et qu’il l’aimait encore moins. « Quelque peu de conscience que j’aie, répondit le duc, je me range à un parti qui en a beaucoup. »

Les magistrats de Londres étant allés en corps complimenter le prince d’Orange, le prince aperçut parmi eux M. Meynard, âgé de quatre-vingt-dix ans, et lui demanda d’un air obligeant s’il n’avait point survécu à tous les gens de loi de son temps. « Monseigneur, répondit-il, j’aurais même survécu à la loi si Votre Altesse ne fût venue à notre secours. »

Le roi, ayant été obligé de fuir devant le prince d’Orange, alla à Londres, où il assembla son conseil. Avant que cette assemblée se séparât, le prince, s’adressant au comte de Bedfort, lui dit : « Milord, vous êtes un très-honnête homme et qui avez un grand crédit ; vous pouvez présentement me rendre de grands services. » À quoi le comte répondit : « Sire, je suis vieux et peu en état de servir Votre Majesté. Mais, ajouta-t-il en soupirant, j’avais autrefois un fils qui, s’il était en vie, pourrait vous rendre de grands services. » Il parlait de lord Russel, son fils, qui avait été décapité sous le dernier règne, et qui avait été sacrifié à la vengeance du roi, alors duc d’York. Cette réponse frappa le roi comme d’un coup de foudre, en sorte qu’il ne put répondre un seul mot.