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sensible au mépris de son mari, mais qu’elle avait un fils, et que ce fils lui tenait lieu de tout. Elle donnait alors toutes les marques de tendresse à son enfant qui n’était qu’à la mamelle.

« Après avoir ainsi convaincu tout le monde de la tendresse infinie qu’elle portait à son fils, elle résolut de tuer cet enfant, et, en effet, lui tordit le col une nuit que son mari était dans une bourgade éloignée, et elle le porta auprès de la seconde femme qui dormait. Le matin, faisant semblant de chercher son fils, elle courut à la chambre de sa rivale, et, l’y ayant trouvé mort, elle se jeta par terre, s’arracha les cheveux en poussant des cris affreux. Toute la peuplade s’assembla ; les préjugés étaient contre l’autre femme. Car enfin, disait-on, il n’est pas possible qu’une mère tue son propre fils, et quand une mère serait assez dénaturée pour en venir là, celle-ci ne peut pas même être soupçonnée d’un pareil crime puisqu’elle adorait son fils et qu’elle le regardait comme son unique consolation. La seconde femme disait pour sa défense qu’il n’y avait point de passion plus cruelle et plus violente que la jalousie, et qu’elle est capable des plus tragiques excès. Cette affaire fut portée à Mariadiramen. On marqua un jour auquel chacune des deux femmes devait plaider sa cause. Elles le firent avec cette éloquence naturelle que la passion a le don d’inspirer. Mariadiramen, les ayant écoutées l’une et l’autre, prononça ainsi : « Que celle qui est innocente et qui prétend que sa rivale est coupable fasse une fois le tour de l’assemblée dans la posture que je lui marque. » Cette posture qu’il lui marquait était indécente et indigne d’une femme qui a de la pudeur. Alors la mère de l’enfant, prenant la parole : « Pour vous faire connaître, dit-elle hardiment, qu’il est certain que ma rivale est coupable, non-seulement je consens à faire un tour dans cette assemblée de la manière qu’on me le prescrit, mais j’en ferai cent s’il le faut. — Et ruoi, dit la seconde femme, quand même, tout innocente que je suis, je devrais être déclarée coupable du crime dont on m’accuse faussement, et condanmée ensuite à la mort la plus cruelle, je ne ferai jamais ce qu’on exige de moi. » La première femme veut répliquer, mais le juge lui impose silence, et, élevant la voix, il déclare que la seconde femme, qui est si modeste qu’elle ne veut pas même se