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que j’étais en Flandre, un homme que don Juan envoyait dans quelques cours d’Allemagne, vint me demander si j’avais quelques ordres à lui donner. Je le priai seulement de me mander quelques nouvelles. — En voulez-vous de vraies ou de fausses ? répliqua l’Espagnol. Comme il vit que j’étais étonné de ce discours, il ajouta qu’il fallait que je fusse bien secret s’il me mandait des nouvelles vraies, parce qu’il était obligé d’en mander à don Juan d’agréables, vraies ou fausses. »

La révolution qui porta Charles II sur le trône fut conduite du commencement jusqu’à la fin par le chancelier Clarendon. Les ennemis de ce tout-puissant ministre tournèrent avec raison en ridicule l’acte d’amnistie accordé par le prince. Les plaisanteries tombèrent sur le titre qu’il portait d’acte d’oubli et de pardon. C’est, disaient-ils, que le roi a oublié ses amis et pardonné à ses ennemis. Milord Clarendon avait en effet donné au roi pour maxime d’employer ses bienfaits à gagner ses ennemis, puisque ses amis étaient dans des sentiments qui lui en assuraient la fidélité.

Charles était toujours affamé d’argent ; aussi le chevalier Harbord disait-il que le vrai moyen de s’assurer du roi était de mettre sans façon la main à la bourse : « C’est aussi là mon avis, répliqua son fils, mettons la main à la bourse, mais pour empêcher qu’il n’en sorte ni sou ni maille. »

Le duc de Rochester et le comte de Buckingham, ayant été obligés de quitter la cour, allèrent voyager ensemble dans les diverses provinces de l’Angleterre pour y chercher des aventures. Sur je ne sais quelle route, ils aperçurent un cabaret fermé où était cette inscription : Maison à louer. L’envie les prend tout à coup d’être cabaretiers, et ils l’exécutent. D’abord ils se bornèrent à se réjouir des passants, et ensuite ils déclarèrent la guerre aux maris des environs. Ils les invitaient, leur faisaient bonne chère, et, quand ils les avaient mis dans le vin, ils allaient à leurs filles et à leurs femmes. Bientôt on ne parla dans la province que de la générosité des deux cabaretiers. Le bruit en vint jusqu’au roi, qui eut la curiosité de voyager de ce côté-là pour voir ce qu’il en était. Il reconnut les deux cabaretiers, les ramena avec lui, et les admit plus que jamais dans sa familiarité. Telles étaient les voies qui menaient à la faveur durant le règne de ce voluptueux prince.