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cidera dans la suite de ceux dont j’aurai l’honneur de vous entretenir.

Le roi, étant fort jeune et faisant à pied les stations du Jubilé, treuva un pauvre homme sur son passage, à qui il jeta une croix de diamants qu’il avait devant lui sans que personne s’en aperçût. Quand il fut à l’église, ses courtisans, ayant pris garde qu’il n’avait plus sa croix, dirent qu’on avait volé le roi. Le pauvre homme, qui s’était douté du bruit que cette action ferait, ayant suivi, dit à l’instant : « Voilà la croix du roi, mais je ne l’ai point volée, c’est Sa Majesté, à qui j’ai demandé l’aumône, qui me l’a donnée. » On demande au roi si cela était vrai : « Oui, répondit-il, je n’avais point d’argent pour donner à ce pauvre homme, et sa misère m’a fait pitié. » On ne jugea pas à propos de laisser au pauvre cette croix, qui était de pierreries de la couronne, mais il fut délibéré dans le conseil que, de quelque manière qu’un roi fit un don, il devait être saint, de sorte que la croix ayant été estimée 12,000 écus, on donna 12,000 écus au pauvre. Quoique l’action du roi soit belle et qu’elle marque un prince bienfaisant, la grandeur des sentiments de son conseil mérite encore plus de louanges.

Les Espagnols, pour avoir une contenance plus grave, portaient communément des lunettes. Marie-Louise d’Orléans, qui épousa Charles II, se voyant entourée de tous ces gens à lunettes qui l’épluchaient de la tête aux pieds, dit plaisamment à un gentilhomme français qui était auprès d’elle : « Je pense que ces Messieurs me prennent pour une vieille chronique dont ils veulent déchiffrer jusqu’aux points et aux virgules. »

Avant Philippe V, les rois d’Espagne étaient esclaves de leur grandeur. Ils suivaient à la rigueur un certain règlement qu’on appelle étiquette, qui contient toutes les cérémonies que les monarques espagnols sont obligés d’observer, les habits qu’ils doivent porter, les temps pour aller aux maisons royales, les jours de procession, de promenade, de voyage, l’heure du lever et du coucher, etc., etc. Il arriva à la reine, femme de Charles II, une aventure où les formalités de l’étiquette pensèrent lui coûter la vie. Elle aimait fort à monter à cheval. Un andalous extrêmement vif la renversa, son pied s’accrocha malheureusement à l’étrier ; elle était traînée au risque d’être écrasée sans que personne osât la secourir, quoique toute la cour vît ce spectacle,