Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 1.djvu/222

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au palais et le bouffon coucha dans les jardins. Le lendemain le roi, le voyant rentrer, l’appela, mais, gagnant la cuisine, il répondit : Ventre affamé n’a point d’oreilles.

M. le chevalier de La Houze vient de publier un petit ouvrage intitulé l’Amour voyageur[1]. L’idée de faire parcourir à l’amour les contrées de l’Europe où la galanterie est le plus à la mode me paraît gracieuse. L’amour impérieux et tyrannique des Turcs, l’amour grave et superstitieux des Espagnols, l’amour jaloux et vindicatif des Italiens, l’amour flegmatique et raisonné des Anglais, l’amour inconstant et badin des Français, tout cela pouvait fournir à l’auteur des peintures agréables et intéressantes. L’amour est, de toutes les passions, la plus générale, et on est comme assuré de trouver le chemin du cœur quand on décrit le principe ou l’effet de cette passion avec quelque goût. Malheureusement, le chevalier de La Houze n’a pas saisi les nuances qui distinguent l’amour d’une nation de l’amour d’une autre nation. Tous les peuples aiment, dans son livre, à peu près de la même manière. Si l’on ignorait les différences qui les distinguent, on ne serait qu’ennuyé par le roman dont j’ai l’honneur de vous entretenir. On est révolté parce qu’on est instruit. La forme de l’ouvrage ne vaut guère mieux que le fond, il n’y a point d’invention dans les choses, et encore moins de grâces et d’agrément dans le style.

— Je reçois dans le même moment deux brochures : la première, intitulée Souper poétique[2], est une mauvaise critique des pièces de théâtre qui ont paru cette année ; la seconde, intitulée le Voyage d’Asnières[3], est une fade description des environs de Paris. L’auteur de la première brochure a voulu être plaisant, il n’est que ridicule ; l’auteur de la seconde a voulu être naturel, et il n’est que plat.

— J’ai imaginé que vous seriez peut-être bien aise de trouver dans chacune de mes lettres quelpues particularités sur un homme de mérite ou sur un prince célèbre. Je commence par Charles II, le dernier roi de la maison d’Autriche qui ait donné des lois à l’Espagne. Le hasard me le présente, et le hasard dé-

  1. Inconnu aux bibliographes.
  2. Par J.‑B. Dupyu‑Demportes. Amsterdam (Paris), 1748, in-12.
  3. Nons n’avons pu trouver aucune trace de cette brochure.