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pages, et se vend 6 francs. On prétend que l’auteur, qui est un commissaire de guerre, a été arrêté et mis à la Bastille, qui est la demeure ordinaire des prisonniers d’État. Parmi beaucoup de réflexions sages, utiles, profondes, qu’on trouve dans cet écrit, il y en a quelques-unes d’une extrême partialité. L’auteur partage son terrain entre la raison et la colère, et est alternativement politique et enthousiaste. On voit bien qu’il est français, et au ton qu’il prend et aux prétentions qu’il forme. Son style est fort véhément et quelquefois obscur. Cet ouvrage, à le bien définir, est un éloge du roi et une philippique contre ses ministres.

— Je ne sais si vous avez ouï parler d’un M. Diderot, qui a bien de l’esprit et des connaissances fort étendues. Il s’est fait connaître par des écrits, la plupart imparfaits, mais remplis d’érudition et de génie. Il ouvrit sa carrière, il y a quelques années, par la traduction d’une Histoire de la Grèce. Cet ouvrage réussit peu en France, parce que l’auteur, M. Stanyan, l’a faite relativement aux affaires politiques d’Angleterre. M. Diderot donna ensuite l’Essai sur le mérite et la vertu. Cette imitation des caractéristiques de milord Schatesbury est trop sèche, trop obscure, trop remplie d’épisodes. Les Pensées philosophiques, du même auteur, sont plus agréablement écrites que profondément réfléchies, la forme l’emporte sur le fond. Ses Bijoux sont remplis d’obscurités, de choses de mauvais goût, et de grossièretés ; on y trouve, par ci, par là, quelques endroits ingénieux, mais presque point de tendres ou de délicats. Après avoir ainsi exercé ses talents sur différents genres, M. Diderot a jugé à propos de donner quelque chose sur la science qu’il sait le mieux, je veux dire les mathématiques. Il vient de publier quelques mémoires sur cela, dont quelques-uns roulent sur la musique et sont extrêmement curieux[1]. Cet écrivain puise en bonne source : il est intime ami avec M. Rameau, dont il doit dans peu de temps publier les découvertes. Ce sublime et profond musicien a donné autrefois quelques ouvrages où il n’a pas jeté assez de clarté et d’élégance. M. Diderot remaniera ces idées, et il est très-capable de les mettre dans un beau jour. Il est seulement à souhaiter qu’il ne prodigue pas la géométrie et l’algèbre comme il a fait dans les mémoires que je vous annonce.

  1. Mémoires sur différents sujets de mathématiques. Paris, 1748, in-12. Six charmantes vignettes de N. Blakey, gravées par Fessard et Sornique.