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louer et blâmer sans injustice. Les rapports des parties qui le composent ne m’en paraissent pas assez justes. Le style manque souvent de correction, et presque toujours d’harmonie. La mémoire de l’auteur est plus ingénieuse que noble. Il règne dans tout ce discours un air décousu qui y jette de la sécheresse et qui en diminue l’intérêt. J’ajouterai que ce sont des vérités dites du ton de la flatterie.

— Les sciences commencent à sortir en Espagne de l’état d’anéantissement où elles languissaient depuis plus d’un siècle. J’ai eu l’honneur, dans ma dernière lettre, devons parler d’une excellente poétique qui nous est venue de ce peuple-là. Je vous annonce aujourd’hui un ouvrage physico‑mathématique dans lequel l’auteur suppose le mouvement de la terre suivant le système de Copernic. Cette nouveauté a éprouvé mille contradictions. Les superstitieux inquisiteurs ont crié à l’hérésie et arrêté longtemps ce livre. L’auteur, D. Jorge Juan[1], qui s’est instruit en accompagnant ceux de nos mathématiciens qui étaient allés en Amérique, a montré du courage ; il a osé réclamer contre le jugement des moines ignorants qui l’avaient condamné. Sa résolution a enhardi beaucoup d’honnêtes gens qui supportent impatiemment un joug si déraisonnable. Insensiblement il s’est formé deux partis qui ont laissé éclater une haine violente l’un contre l’autre. Tandis que les passions étaient les plus vives, le P. Buriel, jésuite, a publié un écrit pour faire observer qu’on ne parlait du mouvement de la terre que comme d’une hypothèse. Sur cela les haines se sont tout à coup assoupies, et le livre, qui avait éprouvé de si ridicules contradictions, a enfin été regardé comme orthodoxe. Les gens de lettres de ce pays-là regardent cet événement comme un prodige, qu’ils souhaitent et qu’ils espèrent de voir suivi d’un grand nombre d’autres.

— Puisque je suis en train de vous parler de la littérature étrangère, j’aurai l’honneur de vous dire que nous venons de recevoir un recueil de poésies italiennes de la façon d’un frère servant des jésuites appelé Carafola, qui est mort récemment portier dans une maison de son ordre, à Rome. Cette nouveauté a surpris par deux endroits. C’est un homme consacré par son

  1. Quérard, qui cite diverse œuvres de D. Jorge-Juan Santacilia, ne mentionne pas le travail dont parle Raynal.