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XVIII

On vient de publier cinq volumes de Négociations de M.  l’abbé Arnauld[1] ; je vais vous dire quelque chose de sa personne, je vous parlerai ensuite de son ouvrage.

Ce négociateur, d’un sang fertile en grands hommes, brilla dans sa jeunesse par l’esprit d’intrigue ; il se dégoûta par la suite de ce personnage, et se jeta dans la dévotion. L’austérité de ses mœurs le plaça à la tête des jansénistes, où il soutint la qualité flatteuse de chef de parti par beaucoup d’actions éclatantes. Deux ou trois suffiront pour donner une idée de son caractère. La ville d’Angers, dont il était évêque, s’étant révoltée, la reine Anne d’Autriche, régente de France, s’avança jusqu’à Saumur dans le dessein de presser le siège de la ville rebelle et de la punir comme elle le méritait. Le prélat, connaissant les malheurs qui allaient fondre sur son diocèse, presse, exhorte, sollicite, propose des conditions de paix, mais tout cela ne servit qu’à le rendre suspect et à le faire chasser de la ville par une troupe de factieux qui trouvaient leur avantage dans le désordre de la guerre. Arnauld oublia l’injure faite à sa dignité et alla demander à la reine la grâce des coupables. La trouvant inflexible, il eut recours à un moyen singulier, mais infaillible. Cette princesse, qui communiait souvent, s’étant présentée pour participer aux saints mystères, un jour que ce prélat officiait pontificalement, il crut la conjoncture favorable pour faire changer l’arrêt rigoureux prononcé contre son peuple. Il s’approcha de la reine, et lui présentant l’hostie, il lui dit d’un ton de voix ferme, et comme déjà assuré du succès : « Recevez, madame, votre Dieu qui a pardonné à ses ennemis en mourant sur la croix. » On comprend assez qu’un pardon demandé de la sorte ne pouvait être refusé. Aussi cette princesse ne songea-t-elle plus à la

  1. Il s’agit de Henri Arnauld et de ses Negociations à la cour de Rome et en diverses cours d’Italie (publiées par Burtin), 1748, 5 v. in-12.