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— On vient de nous donner une traduction française des lettres écrites en latin par Busbeck, ambassadeur de l’empereur Ferdinand 1er d’abord, à la Porte, auprès de Soliman II, et ensuite à la cour de France sous Charles IX[1]. On trouve dans ces lettres des morceaux d’histoire naturelle, civile et militaire des Turcs, faits avec plus de goût, de précision et de justesse, qu’il n’y en a dans les ouvrages de ce siècle-là. Ses lettres qui roulent sur la France sont moins que rien ; je ne connais guère d’ouvrage plus superficiel ni moins exact que celui-là sur une partie si intéressante de notre histoire. La traduction est faite avec la dernière négligence, et les notes sont d’un homme qui ne fait que consulter un mauvais dictionnaire sur les endroits qu’il croit avoir besoin d’éclaircissement. Voici les deux faits que je trouve les plus intéressants dans la négociation de Busbeck.

Il y a à Constantinople des bains publics pour les femmes du commun, et il arrive assez souvent qu’elles y deviennent amoureuses les unes des autres. Une vieille femme, éprise des charmes d’une jeune fille qu’elle y trouva, lui déclara sa passion. Celle-ci, peu sensible à ces vaines caresses, refusa de les recevoir ; cette rigueur ne fit qu’irriter la vieille. Elle continua, avec de nouveaux empressements, à faire la cour à sa belle. La trouvant insensible à ses vœux, l’amour, riche en expédients, lui suggéra celui-ci : elle se travestit en homme, ensuite elle alla louer une maison dans le voisinage de sa cruelle, faisant courir le bruit qu’elle était un des officiers de l’empereur retiré avec pension. En peu de temps elle fit connaissance avec le père de l’amante. Deux jours après, elle la demanda en mariage ; cet homme, d’une fortune médiocre et sans état, se trouva très‑honoré de la proposition. Le parti lui sembla avantageux pour sa fille ; sans balancer il l’accorde. On convient sur l’heure de la dot, et le lendemain fut le jour fixé pour les noces. On les célèbre. Que d’attentions de la part du nouveau mari dans ce jour ! Que de caresses ! Quel heureux présage ! Le soir arrivé, la modestie, d’accord avec la plus délicate économie, conduisit à pas lents la belle épouse au lit nuptial. « Que le plaisir du mariage est grand, se disait-elle, puisque les approches en sont si douces !

  1. Lettres (à Rodolphe II), traduites du latin avec des notes, par L. Et. de Foy. Paris, 1748, 3 v. in-12.