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sur Milton. Je vais lire cet ouvrage pour vous en dire mon sentiment. Je suis prévenu d’avance contre cette continuation, parce que l’auteur l’a entreprise malgré lui, et qu’il n’écrit que médiocrement bien.

— Jusqu’ici les Espagnols n’avaient marché pour ainsi dire qu’à tâtons dans leurs ouvrages de poésie. Lope de Vega, qui eut peut-être autant de génie qu’aucun poëte comique qu’il y ait jamais eu, n’avait fait que des monstres dramatiques, parce qu’ils ignoraient les premières règles de l’art poétique. Tous les autres poëtes de cette nation, nés avec infiniment moins de talents, avaient donné dans de plus grands écarts encore sans avoir les mêmes avantages pour se la faire pardonner. Enfin, M. de Luzon vient de donner la première poétique qu’ait eue l’Espagne. C’est une suite de réflexions lumineuses, profondes, bien liées, bien amenées, bien développées, et, autant que j’en puis juger, bien écrites sur toutes les parties ou sur tous les genres de poésie. L’auteur connaît les anciens et les modernes, et ce qui est encore mieux, il a suivi la nature. L’érudition et le jugement marchent d’un pas égal dans cet ouvrage. Ceux qui connaissent l’état actuel de la littérature espagnole sont étonnés qu’un ouvrage aussi sensé et aussi exact ait pu naître à Madrid. Il est vrai pourtant que les sciences sont un peu sorties du chaos où elles étaient lorsque Philippe V monta sur le trône d’Espagne.

— Le P. Mabillon, célèbre bénédictin, composa autrefois un ouvrage fort connu, intitulé la Diplomatique ; c’est l’art de discerner les fausses Chartres des véritables. Ce livre, fait avec beaucoup de soin et de discernement, eut d’abord un succès complet et servit de guide à presque tous les tribunaux du royaume. Le P. Germont, jésuite, qui avait une sagacité extraordinaire et une logique, à mon gré, supérieure à celle du bénédictin, porta quelques attaques à cet ouvrage, qui diminuèrent la confiance qu’on y avait pris. Cette contestation donna lieu à beaucoup d’éclaircissements et à de nouvelles recherches que quelques bénédictins viennent de mettre en œuvre. Ils vont publier en français une nouvelle Diplomatique, dans laquelle ils ont toujours suivi le plan et, autant qu’ils l’ont pu, les règles du P. Mabillon. Cet ouvrage sera curieux et savant, mais sera toujours un livre à la bénédictine, c’est-à-dire trois fois plus long qu’il ne faudrait.