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vers ; comme il ne voulut point se rendre ni rien promettre là‑dessus, la conversation finit, et la lecture de l’Équivoque en resta là.


MADAME DE LA SUZE.

La jalousie que M. le comte de La Suze avait contre Mme de La Suze lui fit prendre la résolution de la mener à une de ses terres. On prétend que la comtesse, pour éviter de l’y suivre, abjura la religion protestante qu’elle professait avec son mari, ce qui donna occasion à ce bon mot de la reine de Sicile que Mme de La Suze s’était faite catholique pour ne voir son mari ni dans ce monde ni dans l’autre. La désunion augmenta davantage entre eux, ou par le changement de religion ou par la jalousie continuelle du comte, ce qui inspira à la comtesse le dessein de se démarier, en quoi elle réussit, ayant offert à son mari 25,000 écus pour n’y pas mettre obstacle, ce qu’il accepta. Le mariage fut ainsi cassé par arrêt du Parlement. On dit encore un bon mot à ce sujet : que la comtesse avait perdu 50,000 écus dans cette affaire parce que, si elle avait attendu encore quelque temps, au lieu de lui donner 25,000 écus, elle les aurait reçus de lui pour l’en défaire.

On trouvait quelquefois Mme de La Suze habillée et parée de grand matin. Quand on lui en demandait la raison, elle répondait simplement : « C’est que j’ai écrit, » pour faire connaître qu’elle mettait d’ordinaire tous ses atours avant d’écrire à quelque chevalier favori.

On ne pouvait pas voir des affaires plus dérangées que celles de Mme de La Suze. Un exempt, accompagné de quelques archers, vint un jour chez elle sur les huit heures du matin pour saisir ses meubles ; sa femme de chambre l’alla avertir aussitôt. Elle fit entrer l’exempt, étant encore dans son lit, et le pria avec instance de la laisser reposer encore deux heures parce qu’elle n’avait pas dormi de la nuit, ce qui lui fut accordé. Elle s’endormit jusqu’à dix heures ; elle s’habilla pour aller dîner en ville, et passa ensuite dans son antichambre où elle fit de grands compliments à l’exempt et le remercia fort de son honnêteté en lui disant tranquillement : « Je vous laisse le maître. » Et elle sortit de sa maison.