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nœuds et termine la journée par des prophéties que le ciel autorise par le tonnerre qu’il fait gronder. Oh ! je ne me trompe pas, il y a du grand, du neuf, du pathétique dans ce sujet.

« Les principaux caractères qui entrent dans cette action me paraissent noblement dessinés, ingénieusement variés, constamment soutenus. L’empereur Othon III a les lumières d’un particulier, et manque de celles qui font l’ornement du trône. Le désir de la louange le rend vertueux plutôt que l’amour de l’ordre ; il aime mieux amuser les peuples par des spectacles ruineux que de les soulager par une économie louable. Sans principes fixes, sans un goût trop décidé ni pour le bien ni pour le mal, il agit selon les passions qui le tyrannisent, les ministres qui l’éclairent, les favoris ou les maîtresses qui le gouvernent.

« L’impératrice Marie, fille du roi d’Aragon, est à la fois superstitieuse et voluptueuse, pratique une vertu avec la même facilité qu’elle commet un crime, se plaît aux devoirs de la religion les plus humiliants pourvu que ce qu’il y a de plus galant à sa cour l’y accompagne ; aime tous ses plaisirs par caprice et se dégoûte de tout par inconstance. On ne sait si on doit la plaindre ou la haïr, mais il est bien décidé qu’on ne la peut estimer.

« Les malheurs du prince de Montferrat n’égalent point la compassion qu’on a su m’inspirer pour lui. Je ne puis assez m’intéresser au sort d’un ministre laborieux sans ambition, ferme sans entêtement, exact sans petitesse ; qui fait la guerre et qui aime la paix, qui ne néglige aucun délai ! et qui est supérieur aux plus grandes affaires ; qui connaît tous les talents et qui sait les mettre tous en œuvre. Il voulut l’ordre, vint à bout de l’établir, et ne fut jamais soupçonné de sévérité, de partialité, pas même d’amour-propre. De quel homme en place en a-t-on jamais dit autant ?

« L’auteur m’arrache à la tristesse où il m’a plongé pour me faire éprouver aussi vivement une autre passion. Le caractère de la princesse de Montferrat est un des plus beaux qu’on ait jamais tracés. Elle ne s’amuse pas à plaindre son mari, elle fait plus, elle le justifie, elle le venge. Quand elle n’aurait pas des droits sur son cœur par ses malheurs, par les grâces les plus touchantes, par tout ce qui peut rendre une femme estimable,