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XXIV

Une dame, fort connue dans ce pays-ci par le bel esprit, vient de m’envoyer un ouvrage singulier de M.  Deslandes qu’on imprime actuellement. Comme ce roman historique ne peut manquer de faire du bruit par les hardiesses dont il est rempli, et que l’auteur a de la célébrité en Europe, j’ai pensé que vous seriez bien aise de voir ce que j’ai répondu sur l’un et sur l’autre ; voici ma lettre :

« Je viens de lire la Princesse de Montferrât[1] avec la passion qu’on a pour tout ce qui a passé par vos mains, avec plus de liberté que vous n’en laissez ordinairement et avec une impartialité dont j’espère que vous me tiendrez compte. Cet ouvrage singulier a fait sur mon cœur des impressions subites, vives, profondes. J’y trouve ce que l’histoire à de plus vrai, le roman de plus merveilleux, le théâtre de plus tragique. Le sujet est grand et simple, les incidents sensibles et surprenants, le dénouement juste et terrible.

« Je n’imagine pas une action plus naturelle, plus instructive, plus touchante. Un grand empereur choisit un héros célèbre par sa probité et ses talents pour le rendre le dépositaire de sa puissance. L’impératrice trouve malheureusement un homme adorable où l’on n’avait vu qu’un homme d’État. Le ministre, uniquement occupé du bonheur des peuples, ne tarde guère à devenir la victime d’un feu honteux qu’il a méprisé. Une épouse désolée fait crier dans une assemblée de plusieurs nations un sang injustement versé. La princesse, coupable de toutes ces horreurs, ne peut ni soutenir la honte dont on la couvre, ni étouffer les remords qui la rongent, et se précipite dans les flammes. Le monarque lui-même consent à périr pour expier le crime d’un jugement injuste et précipité. Ses sujets le forcent à vivre. Il offre sa main à la veuve généreuse qui poursuit avec tant d’éclat une illustre vengeance. Elle dédaigne ces nouveaux

  1. Histoire de la princesse de Montferrat. Londres, 1749, in-12.