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madame, qui ne compte recevoir aucune visite ce jour-là, se tient dans son boudoir, les rideaux tirés parce que le trop grand jour augmenterait la migraine qu’elle a gagnée la veille. Elle est dans un déshabillé intéressant ; cependant elle cherche à s’excuser sur ce désordre ; ensuite elle fait des reproches de ce qu’on vient ainsi la surprendre. Pour l’apaiser, on lui dit qu’on ne l’a jamais vue si belle ; que sa migraine charge ses yeux d’une langueur et d’une tendresse qui toucherait le plus sensible. On cause encore quelques moments ; le cavalier, qui craint d’être incommode, veut sortir ; madame l’arrête : « Vous me tiendrez compagnie, lui dit-elle, puisque vous êtes venu, vous me dissiperez… Mais, à propos, je ne sais comment on a pu vous laisser entrer, j’avais donné ordre de dire à ma porte que je n’y étais pour qui que ce soit. » On marque sa reconnaissance d’être préféré. De part et d’autre, on se dit mille choses agréables, on s’anime. Insensiblement le jour baisse. Le flambeau de l’amour éclaire le cavalier. Il s’approche du sopha où madame s’est jetée pour être plus à son aise. Bientôt la migraine cesse, et l’on n’est plus occupé qu’à trouver d’autres moments dans la suite, que la santé de madame aura soin de préparer.

N’allez pas cependant croire, sur ce récit, que toutes nos femmes en France sont le modèle de celle dont je viens de vous faire le portrait ; Boileau, le satirique, a compté, avant moi, jusqu’à trois honnêtes femmes dans Paris.

Puisque nous sommes sur ce chapitre, je finirai par vous donner une idée succincte d’une comédie en prose en un acte, intitulée la Chauve-Souris[1], idée qui vous convaincra de la justesse de mes réflexions préliminaires. Valère aime une jeune veuve nommée Isabelle. Après une absence de six mois, il revient à Paris, d’où on lui avait mandé les infidélités de sa maîtresse. En arrivant, il interroge Lisette, suivante d’Isabelle, qui ne veut lui rien dire. Quelque argent la rend traitable, et elle découvre à Valère toute l’intrigue de la jeune veuve avec un nommé Clitandre. Valère, furieux, cherche tous les moyens de se venger. Devinez celui auquel il s’arrête ? Il lui échappe de

  1. La Chauve-Souris de sentiment, comédie en un acte, s. 1. n. d, 38 p., avec une pl. gr. (par Boucher ? Attribuée de tout temps au comte de Caylus, et par M. Paul Lacroix à Crébillon fils, cette comédie a été réimprimée à Bruxelles sous la rubrique de Berg-op-Zoom, à 120 ex., 1866, in-18.