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entra là-dessus en fureur, et fit un long discours sur les galanteries des femmes : « Nous ne courons pas ce risque, dit M. Otter, nos femmes sont douces et raisonnables ; nous leur laissons le soin de leur conduite, et nous sommes tranquilles. — Je pense, répliqua-t-il, que les femmes sont les mêmes partout, et je remercie Dieu de m’avoir fait naître dans un pays où il est permis aux hommes de se mêler de leur conduite. »


XXII

Si l’on jugeait de l’esprit des Français par le genre et la qualité des ouvrages qui sortent depuis quelque temps de leurs presses, l’idée qu’on s’en ferait ne serait pas avantageuse. On n’a jamais tant vu de mauvaises et futiles productions. Il semble que la licence seule guide la plume de nos écrivains. C’est une espèce de maladie épidémique qui a gagné jusqu’aux sots, qui, sans génie, sans goût, sans connaissances, sans le moindre agrément dans le style, se font néanmoins imprimer. Les romans autrefois si purs, mais qui faisaient, à la vérité, acheter leur chaste dénoùment par l’ennui de plusieurs gros volumes, sont salis aujourd’hui dès les premières pages par les aventures les plus indécentes. J’en excepte cependant celui de Mysis et Glaucé[1], qui paraît depuis peu et qui n’est point encore connu. On l’attribue à l’abbé de La Tour, auteur de la Vie d’Épaminondas et de plusieurs autres ouvrages sérieux, entre autres de l’Amusement de la raison dont j’ai eu l’honneur de vous entretenir dans une de mes dernières lettres. Le roman de Mysis et Glaucé est une traduction d’un prétendu poëme grec en trois chants, quoique en eflet il ne soit qu’une très-faible imitation du Temple de Gnide (petit chef-d’œuvre de sentiment et de style), et un essai de l’auteur dans ce genre qui n’appartient pas à une imagination froide ni à une plume dénuée de grâce et de légèreté.

  1. Mysis et Glaucé, poëme en trois chants, traduit du grec par M. Séran de La Tour. Genève (Paris), 1748, in-12.