Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 1.djvu/182

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que ses prières et celles de son armée avaient été efficaces, et qu’il était juste qu’il jouît, lui et ses troupes, de ces revenus. En même temps il ordonna de faire rechercher ces biens, et s’en empara.

Lorsque Nadir-Shah eut humilié les Turcs et affermi son trône, il entreprit la conquête de l’Inde. À la vue des cruautés qu’il y fit commettre, un derviche présenta à Nadir-Shah un écrit conçu en ces termes : « Si tu es Dieu, agis en Dieu ; si tu es prophète, conduis-nous dans la voie du salut ; si tu es roi, rends les peuples heureux et ne les détruis pas. » Nadir-Shah répondit : « Je ne suis pas Dieu pour agir en Dieu, ni prophète pour montrer le chemin du salut, ni roi pour rendre les peuples heureux ; je suis celui que Dieu envoie contre les nations sur lesquelles il veut faire tomber sa colère. » Nadir-Shah emporta de son expédition de l’Inde 1,800 millions de livres de France. Cependant il trouva que cela ne suffisait pas. Il fit publier dans son camp un ordre de porter à son trésor tout le butin, sous le prétexte de soulager les soldats de tout ce qui pouvait les embarrasser. On obéit, mais il alla plus loin. Ayant appris que les officiers et les soldats avaient caché des pierreries et voulant tout avoir, il fit fouiller chacun d’eux en particulier et visiter leurs bagages ; tel est l’ascendant qu’avait pris l’usurpateur que personne ne murmura ni ne fit résistance. Ce tyran ne fut assassiné que parce qu’il voulut forcer les Persans à reconnaître la croyance des Turcs pour bonne et l’adopter.

Voici encore deux petits traits qui m’ont paru avoir quelque agrément. M. Otter, marchant dans les rues de Constantinople, rencontra une troupe de femmes voilées qui revenaient du bain. Elles n’avaient jamais vu d’habits français, et en furent si frappées qu’elles prièrent M. Otter de s’arrêter un moment. Après l’avoir examiné depuis la tête jusqu’aux pieds, une d’entre elles lui dit : « N’as-tu pas de honte, giaour que tu es, de paraître moitié nu dans les rues ? Comment, tu viens d’un pays où l’on fabrique le drap et tu n’as pas le moyen d’en avoir assez pour un habit qui put te couvrir en entier ? » Un Turc invita M. Otter à aller prendre du café chez lui. Les femmes de la maison s’amusèrent à regarder l’étranger à travers une jalousie. Le Turc s’en aperçut, et les fit retirer. Le galant Français demanda qu’il fût permis à ces pauvres femmes de contenter leur curiosité. Le jaloux Oriental