Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 1.djvu/173

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
155
NOUVELLES LITTÉRAIRES

Racine pressait Chapelle de lui dire son sentiment sur la tragédie de Bérénice, qui n’est guère qu’une élégie amoureuse : « Ce que j’en pense ? répondit Chapelle : Marion pleure, Marion crie, Marion veut qu’on la marie. » Mot plaisant qui a réussi.

Lorsque le grand Condé, qui était aussi grand homme de lettres que grand homme de guerre, soutenait une bonne cause, il parlait avec beaucoup de grâce et de douceur, mais quand il en soutenait une mauvaise, il parlait avec aigreur. Boileau céda un jour dans une dispute de cette nature, et dit tout bas à son voisin : « Dorénavant je serai toujours de l’avis de Mgr le Prince quand il aura tort. »

Racine regarda toujours Molière comme un génie unique, et le roi lui demandant un jour quel était le plus rare des grands écrivains qui avaient honoré la France pendant son règne, il lui nomma Molière : « Je ne croyais pas, répondit le roi ; mais vous vous y Connaissez mieux que moi. »

Boileau aimait la société, et était très-exact à tous les rendez-vous : « Je ne me fais jamais attendre, disait-il, parce que j’ai remarqué que les défauts d’un homme se présentent toujours aux yeux de celui qui l’attend. »

Boileau mortifia le libraire Barbin qui le régalait dans une maison de campagne très-jolie, mais très-petite. Après le dîner il le mena admirer son jardin qui était très-peigné, mais très‑petit, comme la maison. Boileau, après en avoir fait le tour, appelle son cocher et lui ordonne de mettre ses chevaux : « Eh ! pourquoi donc, lui dit Barbin, voulez-vous donc vous en retourner si promptement ? — C’est, répondit Boileau, pour aller à Paris prendre l’air. »

Boileau eut un jour une dispute fort vive avec son frère, le chanoine, qui lui donna un démenti d’une manière assez dure. Les amis communs voulurent faire la paix et l’exhortèrent à pardonner à son frère : « De tout mon cœur, répondit-il, parce que je me suis possédé, je ne lui ai dit aucune sottise ; s’il m’en était échappé une je ne lui pardonnerais de ma vie. »

Racine, revenant de la cour avec une bourse de mille louis, dit à sa femme en l’embrassant vivement : « Félicitez-moi, voici une bourse de mille louis, que le roi n’a donnée. » Elle lui porta aussitôt des plaintes contre un de ses enfants qui depuis deux jours ne voulait pas étudier : « Une autre fois, reprit--