Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 1.djvu/172

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

XX

M. Racine fils, auteur des poëmes de la Grâce et de la Religion, où il y a plus de raison et de goût que d’images et d’enthousiasme, et des excellentes Réflexions sur la poésie, vient de publier des Mémoires historiques sur la vie de son père, le grand Racine[1]. Comme cet ouvrage est diffus, rempli d’inutilités, et écrit avec négligence, je vais en extraire tout ce que j’y ai trouvé d’intéressant, non-seulement sur Racine, mais sur les hommes de lettres avec lesquels il était lié. Je tirerai peu de choses du deuxième volume qui est rempli de lettres peu agréables ; j’en excepte celles de famille qui m’ont paru pleines de sagesse, de sentiment et de religion.

Quelqu’un reprochant à Boileau que, s’il s’attachait à la satire, il se ferait des ennemis qui auraient toujours les yeux sur lui et ne chercheraient qu’à le décrier : « Eh bien, répondit-il, je serai honnête homme et je ne les craindrai point. »

Molière donna son Misanthrope dans le temps qu’il était brouillé avec Racine ; cette admirable pièce échoua d’abord. Un flatteur crut faire plaisir à Racine en lui disant : « La pièce est tombée ; rien n’est si froid, vous pouvez m’en croire, j’y étais. — Vous y étiez, reprit Racine, et je n’y étais pas ; cependant je n’en croirai rien, parce qu’il est impossible que Molière ait fait une mauvaise pièce. Retournez-y, et examinez-la mieux. »

Puymorin, frère de Boileau, étant invité à un grand repas par deux juifs fort riches, alla chercher Boileau et le pria de l’accompagner, l’assurant que ces messieurs seraient charmés de le connaître. Boileau qui le voyait pressé et qui avait des affaires, lui répondit d’un ton colére : « Je ne veux point aller manger avec des coquins qui ont crucifié Notre-Seigneur. — Ah ! mon frère, s’écria Puymorin, en frappant du pied contre terre, pourquoi m’en faites-vous souvenir lorsque le dîner est prêt et que ces bonnes gens m’attendent ? »

  1. Mémoires sur la vie de Jean Racine. Lausanne (Paris), 1747, 2 vol. in-12.