Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 1.djvu/171

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
153
NOUVELLES LITTÉRAIRES

a à dire pour ou contre ne vous échappera pas. Le traducteur mérite moins de ménagements. Comme provençal, il devrait avoir du feu, et il est glacé ; comme poëte, il devrait avoir un style noble, et il l’a rampant : comme jeune homme, il devrait sentir, et il ne sent rien ; comme satellite de M. de Fontenelle, il devrait avoir de la délicatesse, et il est tout à fait grossier. Sa préface est longue, ennuyeuse et insolente ; sa traduction mauvaise, languissante et infidèle ; ses notes inutiles, ridicules et pédantesques. Quelqu’un a appelé une traduction une tapisserie de Flandre à l’envers. Mme de La Fayette comparait un traducteur à un laquais qui va rendre en termes maussades les compliments que sa maitresse l’a chargé, en termes choisis, de porter quelque part. M. Jourdan est pis que tout cela. Son roman ne serait jamais sorti du néant sans Mme de Tencin, qui s’est chargée de le vendre. L’usage s’introduit en France de faire répandre les ouvrages de bel esprit par les femmes à la mode ; ce qui à fait dire que les livres ne se vendent plus comme autrefois sous le manteau, mais sous la jupe.

— On recut hier jeudi, 3 de ce mois, à l’Académie française, MM. d’Argenson et Gresset. Le discours du premier fut trouvé d’une modeste simplicité et convenable à un homme de son état, qui n’entre pas à l’Académie pour cultiver directement les muses, mais pour les protéger. On a surtout applaudi à l’éloge qu’il a fait de Louis XV, sans bassesse et sans flatterie.

Le discours de M. Gresset, plus brillant et plus éloquent, a réuni tous les suffrages. Il a beaucoup insisté sur la probité en général, et sur celle de M. Danchet, en particulier. Je crois que ce discours perdra beaucoup à l’impression, parce qu’il y a plus de grands mots que de grandes choses.

M. de Boze, directeur de l’Académie, a parlé longuement et platement ; c’est un bonhomme qui n’a été heureux ni dans les éloges qu’il a donnés, ni dans ceux qu’il a supprimés. Il a ridiculement loué M. d’Argenson et il a eu tort de ne pas louer M. Gresset.

M. de Marivaux a terminé la séance par quelques réflexions sur les auteurs anciens et modernes. Ses portraits sont comme tout ce qui est parti de sa plume, un mélange de grand, de burlesque et de familier.