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NOUVELLES LITTÉRAIRES

en jour. Lorsque le maître des humains l’eut jugée sufisamment prémunie par des principes de sagesse inaltérables contre la séduction de l’exemple, de la grandeur et des plaisirs, il l’éleva par un coup de sa providence inattendue à un rang plus éminent encore que celui de ses pères, et la transporta sur le théâtre le plus brillant de l’univers, écueil dangereux pour une vertu moins affermie. Irène est un roc inébranlable. Environnée de flatteurs, elle est humble ; dans le centre du tumulte, elle est retirée ; dans un air infecté d’irréligion, sa piété n’est point ralentie ; sous l’éclat pompeux des riches ajustements, elle porte un front modeste. Autour d’elle règnent la dissimulation, le parjure et la trahison ; sur ses lèvres règnent la candeur, la droiture et la sincérité.

« Mais placez sur le même théâtre la jeune Chloé ; la licence qui y règne, loin de l’effaroucher, ne fera que seconder ses vues ; on s’y comporte comme elle entend s’y comporter ; plus de circonspection lui serait à charge. Connaissez Chloé d’origine, et vous ne craindrez point que l’exemple la gâte. Son goût décidé pour la volupté avait prévenu les effets de l’exemple, et son éducation n’avait fait que fortifier son goût. »

— On peut hardiment attribuer aux mauvais traducteurs les préjugés de quelques modernes contre les auteurs de l’antiquité. La bassesse du style, les contre-sens et une foule d’autres défauts n’inspirent pas beaucoup de vénération pour les modèles de la Grèce et de Rome à ceux qui ignorent les langues savantes. Qui n’a lu que Mme Dacier, dit Voltaire, n’a pas lu Homère. Si M. Dacier est ainsi traitée, et avec juste raison, quel jugement doit-on porter de la traduction nouvelle des Amours d’Abrocome et d’Anthia faite du grec de Xénophon, par M. Jourdan[1] ? Cet auteur vient de faire revivre l’exemple du tyran Mézence en joignant un corps mort à un corps vivant. Voici le sujet et la suite de ce roman : Lycomède et Thémiste, de la ville d’Éphèse, eurent de leur mariage un fils nommé Abrocome, dont la beauté surpassait tout ce qu’on peut dire. Ce don frivole lui inspira tant d’orgueil qu’il ne croyait pas à l’Amour. Ce petit dieu, pour se venger d’Abrocome, choisit un jour de fête solennelle consacré à Diane, où le peuple en foule allait

  1. S. 1. (Paris), 1748, in-12, vignettes de Humblot, gravées par Maisonneuve.