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NOUVELLES LITTÉRAIRES

ner le titre de savante, et cette réserve à prononcer sur les ouvrages d’autrui, qui est une preuve d’un bon cœur et d’un bon esprit.

La Femme ermite n’est pas de Mme de Lambert, et si elle en était, elle ne serait pas digne d’elle.

— Notre Parnasse vient de perdre M. Richer. Il a vécu sans biens parce qu’il était honnête homme, sans honneurs littéraires parce qu’il n’était pas cabaleur, presque sans réputation parce qu’il était modeste. En France, la fortune est le plus souvent pour les fripons, la réputation pour les audacieux, les Académies pour les gens d’intrigue. Le meilleur ouvrage de M. Richer, c’est le recueil de ses fables[1]. Elles ne sont ni aussi naïves que celles de La Fontaine, ni aussi ingénieuses que celles de La Motte ; elles ont pourtant leur mérite. Le corps de la fable est presque toujours bien, le dénoùment en est communément trop uni, il n’y a rien d’assez piquant. Elles ressemblent à leur auteur qui était si simple qu’il en était ennuyeux.

— L’Académie française a perdu, depuis quelque temps, deux de ses membres : M. l’abbé Girard et M. Danchet, qu’elle a remplacés, le 21 de ce mois, par M. de Paulmy, fils de M. d’Argenson, autrefois ministre des affaires étrangères, et par M. Gresset.

L’abbé Girard était un homme grossier, d’une physionomie triste et rebutante, d’un entretien sec, d’un maintien embarrassé. Quoiqu’il aimât l’or, il a vécu sans fortune, parce qu’il manquait d’adresse pour en acquérir ; il a passé sa vie à étudier la grammaire française en philosophe. Son premier ouvrage est intitulé Synonymes français[2]. Il prouve dans ce livre qu’il n’y a point de synonymes en notre langue, et que les mots dont on se sert communément pour exprimer une même chose ont réellement des significations différentes. Cet ouvrage est plein de discussions fines et métaphysiques, et a eu un grand succès. Il a publié depuis une grammaire française qui n’a pas eu un sort aussi brillant. Elle est pleine de vues, d’esprit et

  1. Fables nouvelles mises en vers. Paris, 1729, in-8o, réimprimé l’année même de la mort de l’auteur, 1748, in-12.
  2. La première édition des Synonymes français a pour titre : La Justesse de la langue française, ou les Différentes Significations des mots qui passent pour synonymes, Paris, 1718, in‑12.