Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 1.djvu/163

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
145
NOUVELLES LITTÉRAIRES

l’idée d’un torrent qui roule à grand bruit et d’un ruisseau qui coule lentement, ou la séparation des éléments de l’air et du feu. Puis, tout à coup, par des sons plus marqués, plus hardis, le musicien vous transporte dans les airs. Là, il vous peint à la fois le bruit des vents et du tonnerre, ou bien, par une harmonie voluptueuse ou pleine de majesté, il vous inspire le plaisir de l’amour, il calme vos sens ou vous annonce la présence des dieux.

Rameau passe pour le seul de nos musiciens qui possède au dernier degré ces sortes de transitions. Les oreilles harmoniques ont toujours avec lui de quoi se satisfaire, même dans les plus petites choses.

— M. de Bibiena, auteur de plusieurs romans très-médiocres, vient de nous en donner un intitulé la Force de l’exemple[1]. Le sujet en est simple : c’est une femme qui a toutes les raisons du monde de se plaindre de son mari, et qui, malgré ses penchants, demeure attachée à son devoir par l’exemple d’une cousine aussi malheureuse, mais plus vertueuse. Le style de cet ouvrage manque également de naïveté, d’élégance et de correction. Les mœurs en sont bonnes, les caractères soutenus, mais sans dignité ; les situations en sont brusquées, souvent amenées, tantôt usées et quelquefois neuves, hardies et intéressantes. Il arrive rarement que l’auteur embellisse ce qu’il prend ; il lui est plus ordinaire de le gâter. Par exemple, un amant, n’osant faire sa déclaration, apprend à un perroquet, dans ce roman, le mot d’amour, et cela est dit le plus maussadement du monde. Ce trait est tiré des Lettres turques, où cela est joliment conté en ces termes : Le comte Mazaro, étant esclave chez les Turcs, Rosalide, qui le vit dans les jardins du prince son père, en devint amoureuse et lui fit donner l’ordre de lui porter des fleurs tous les matins. Il élevait des oiseaux, à l’un desquels il avait appris à prononcer : « Je vous aime. » Un matin qu’il entra chez Rosalide, le petit oiseau vola de dessus son épaule au col de la princesse, et, en lui becquetant l’oreille, il lui dit : « Je vous aime ». « Ah ! qu’il est joli », s’écria la fille de Russem, en baisant le fidèle écolier qui lui souflle encore dans la bouche : « Je vous aime », et à chaque caresse qu’elle continua à lui faire, il répéta

  1. La Haye, 1748, in‑12.