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et beaucoup d’esprit, mais qui n’est pas fait pour le genre dans lequel il vient de travailler.

— Il paraît depuis peu la suite des Éloges académiques[1], par M. de Mairan, qui a succédé à M. de Fontenelle dans la charge de secrétaire de l’Académie royale des sciences. Ces éloges ne sont point dignes de cet académicien, qui a la réputation d’être un des plus grands académiciens et des plus grands géomètres de France. Rien n’est plus sec, plus aride, plus triste, plus rebutant, que sa manière d’écrire. Où Fontenelle avait cueilli des fleurs, il n’a trouvé que des épines. Son style est plein de négligences qu’on ne peut pardonner à un académicien français. Il est simple sans être naturel, pédant sans mettre de symétrie dans les ouvrages d’esprit, précieux sans employer les ornements ambitieux du style. Ses éloges, pour paraître mauvais, n’ont pas besoin d’être enlaidis par ceux de M. de Fontenelle ; ils sont absolument mauvais. Jamais personne n’a mieux prouvé que lui combien est ingrat le terrain qu’on cultive après les autres. M. de Fontenelle, par les agréments de son style, avait trouvé le secret de rendre intéressantes les matières les plus arides ; son imagination riante avait su y répandre mille charmes inexprimables. Sans dissimuler rien, il a l’art de tout louer. La critique prend chez lui le ton de la flatterie. Les ridicules, qu’il saisit avec tant de finesse, se convertissent chez lui en éloges par le tour heureux qu’il leur donne. M. de Fontenelle est trop philosophe pour avoir du génie. Le vrai génie naît des convenances qui se trouvent entre les lumières de l’esprit et les passions du cœur. Or M. de Fontenelle n’a point de passions. Du caractère dont il est, de quoi s’était-il avisé de chausser le cothurne ? Il éprouva qu’il faut plus que de l’esprit pour réussir dans un genre d’esprit destiné à émouvoir les passions.

— Il paraît une Épître de M. Desmahis à Mme  de Marville, femme de l’ancien lieutenant de police. C’est un portrait que l’auteur fait de lui-même, de son cœur, de son esprit, de ses talents et de ses mœurs. Ce petit ouvrage, d’environ deux cents vers, est écrit dans le goût de Chaulieu, que l’auteur se propose d’imiter par la molle négligence de sa muse et la volupté de

  1. Éloges des académiciens de l’Académie des sciences, morts de 1741 à 1743. Paris, 1747, in-12.