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sont doux et coulants. On y admire des traits hardis, des pensées fortes, des sentiments vertueux, des situations théâtrales, des caractères soutenus, des incidents adroitement ménagés, une intrigue bien nouée, un dénoùment heureux. Il y a même plusieurs morceaux vraiment épiques. C’est un défaut, dit-on, dans une pièce tragique, parce que les personnes qu’on y représente étant naturellement occupées de leurs passions, ne doivent jamais emprunter le langage particulier aux poëtes, que la hardiesse des fictions et des termes a fait appeler le langage des dieux, d’autant plus que ce langage étant le fruit de la méditation et de la recherche, l’impétuosité des passions n’en laisse ni le goût ni le loisir. J’en conviens ; mais toutes choses bien examinées, j’aimerais encore mieux ce style, quoique naturellement peu assorti aux circonstances, qu’un style plat, dénué de force et surtout des agréments que prodigue l’ivresse poétique. Au reste, souvenez-vous que le naturel, pour plaire au théâtre, doit être embelli par l’art, et que ce serait agir contre la nature elle-même que de la copier trop fidèlement. Nous sommes fort attachés à la vraisemblance, il est vrai, mais nous le sommes encore plus aux beautés qui nous dédommagent de son absence et en faveur desquelles nous en dispensons les auteurs jusqu’à un certain point. Si nous renonçons quelquefois à ce que nous aimons, c’est toujours pour avoir quelque chose que nous aimons davantage. Ce sont là nos dispositions ; dispositions qui font partie de notre essence. Nos monologues, par exemple, sont-ils dans la vraisemblance ? Et ce style qui, par sa cadence mesurée, s’élève au-dessus du langage ordinaire, est-il naturel ? Rien moins que cela. Tout cela se souffre cependant ; on s’y fait, et on sent ce qu’on perdrait si ces imperfections étaient ôtées. Pourquoi donc retrancherait-on rigoureusement tout ce qui approche du style épique, lui qui est fait pour peindre plus fortement ces choses, pour leur donner une nouvelle vie et une seconde expression ? En vérité, avec la facilité que nous avons à nous prêter aux illusions, ce serait bien dommage de ne pas nous les donner. Combien de pièces de Voltaire ne se soutiennent qu’à l’aide de plusieurs traits épiques, qui répandent sur elles un coloris plus fort, plus lumineux et plus éclatant !

Pour revenir à Denys le Tyran, le premier acte, et même une partie du second, sont employés à exposer le sujet. La chaleur