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n’ont pu nous intéresser pour Volumnie ; c’est un caractère mal dessiné ; l’auteur n’a pas eu assez de génie pour présenter un tableau frappant des combats que produisent dans un cœur vertueux l’amour de la patrie et l’amour d’un époux. Pour Véturie, c’est un personnage mal copié d’après Émilie dans Cinna, et Cornélie dans Pompée. À la place de la grandeur et de la fierté romaines, Mauger substitue l’enflure espagnole et le mépris insultant pour les autres nations. L’auteur, qui croit de la meilleure foi du monde faire revivre en lui les talents du grand Corneille, s’est sans doute applaudi dans tous ces endroits. Le cinquième acte est absolument misérable ; l’auteur en convient lui-même. Je vous demande grâce pour le quatrième acte ; on peut dire qu’il n’était pas digne d’une si mauvaise pièce. Il brille de beautés. La jalousie des courtisans y est bien peinte. Ce qui en fait surtout la beauté, c’est l’allusion naturelle qu’on y fait de Coriolan avec M. le comte de Saxe. On y voit la jalousie relever l’éclat du mérite de Coriolan par les efforts insignifiants qu’elle fait pour l’obscurcir.


XV

M. Marmontel vient de donner aux comédiens une tragédie intitulée Denys le Tyran[1]. Jamais aucun auteur depuis Voltaire n’a débuté aussi glorieusement. Sa pièce continue d’avoir le succès le plus brillant ; aussi est-elle excellente du côté du style, des pensées et de la conduite. Les éloges sont sortis impétueusement de toutes les bouches, et même de celles des auteurs, qui n’ayant pas eu le loisir de se précautionner contre l’admiration, ont été entraînés par les suffrages de tout Paris. Peut-être que son âge aura prévenu les esprits en sa faveur, et aura fait apercevoir dans sa pièce des beautés qui n’y sont pas. Quoi qu’il en soit, les beautés dont elle brille sont comme le germe précieux de ces grandes beautés qui, même par le temps, écloront et produiront des fruits surprenants. On peut dire en général de sa pièce qu’elle est écrite noblement, que les vers en

  1. Paris, 1749, in-8. Représentée le 5 février 1748.