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plume légère, d’une humeur gaie, et M. Deslandes est l’antipode de tout cela. L’Histoire des anciens philosophes[1], qu’il donna ensuite, eut une vogue passagère parce qu’elle fut d’abord attribuée au célèbre M. de Fénelon. On lut et on lut détrompé. L’ouvrage est rempli de plus de recherches que n’en aurait peut-être fait l’ingénieux prélat, mais on n’y retrouve pas les grâces qui le caractérisent. L’Histoire de la philosophie est l’ouvrage qui a fait et qui soutient la réputation de M. Deslandes. Il y a de l’érudition, de la critique, de la sagacité, de la hardiesse dans cet ouvrage ; peu d’ordre, quelques défauts de logique, un style plus fort qu’élégant et correct. On a agité en France si le luxe était plus nuisible qu’utile à un État. M. Melon, auteur de l’admirable Essai sur le commerce, a prouvé qu’il était avantageux à un grand État tel que la France, et ruineux pour un petit État tel que la République de Genève. M. Deslandes a fait sa Lettre sur le luxe pour réfuter M. Melon. Comme les deux champions n’étaient pas égaux, l’avantage est resté au premier, quoique la cause du second fût peut-être meilleure. L’Essai sur la marine et sur le commerce, de M. Deslandes, qui parut il y a environ quatre mois, est agréable parce qu’il y règne une liberté qui déplut à la cour, mais qui charma les bons citoyens et les honnêtes gens. N’entreprenez pas la lecture de l’Essai sur la marine des anciens, que je vous annonce. La matière et la forme, les choses, l’ordre, le style, tout est également mauvais dans cet ouvrage. Il n’y a de curieux qu’une dissertation, qui est à la fin, sur les vers qui détruisent les vaisseaux. Il est certain qu’on ne fait pas assez d’attention à cette vermine qui, transplantée d’Amérique en Europe, y détruit la marine et a failli renverser les digues qui couvrent la Hollande.

— Je reçois, en finissant cette lettre, des vers de l’abbé de Bernis, adressés à Mme du Bocage ; tels qu’ils sont, je vous les envoie :


En vain Milton, dont vous suivez les traces,
Peint l’âge d’or comme un songe effacé ;
Dans des écrits embellis par les grâces,
On croit revoir ce temps si tôt passé.

  1. Histoire critique de la philosophie. Paris, 1737-1750, 3 vol. in-8.