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cule. Or Cléon, qui est le méchant et le principal personnage de la pièce, n’est point ridicule : il n’est point le centre où se réunissent les plaisanteries ; c’est au contraire de sa bouche qu’elles partent. C’est lui qui sait reconnaître le ridicule où il est, et qui sait l’en tirer avec délicatesse pour le répandre sur tous ceux qui l’environnent. Quel art n’a-t-il donc pas fallu pour le rendre intéressant ! L’action de la pièce est simple, naturelle, et laisse à Cléon toute la liberté de se développer. On ne peut assez admirer l’adresse du poëte dans ces degrés de malice qu’il prête à Florise et à Valère, séduits et infectés par son commerce. Ils semblent n’être placés là que pour faire mieux sentir toute la malice de Cléon. L’intervalle eût été moins sensible s’il n’eût point été mesuré par cette espèce de gradation, et le portrait du méchant eût été affaibli sans cette comparaison. Mais ce qui le met dans le plus beau jour, c’est le caractère d’Ariste, qui est son contraste et le plus honnête homme du monde. Il gagne adroitement la confiance de Valère, en joignant à l’amitié le ton de la franchise et de la probité. Il lui peint Cléon comme un homme abominable, et dont la vie n’est qu’un enchaînement d’horreurs secrètes, de faux rapports, de perfidies ténébreuses, de calomnies odieuses. Sous ce brillant qui l’avait séduit et sous cette surface trompeuse, il lui fait voir dans Cléon un homme dangereux, diffamé, proscrit et sans patrie chez tous les honnêtes gens. Le cœur ému par les impressions de vertu qu’Ariste fait passer dans le cœur du jeune Valère en prend aisément l’unisson. On sent la vérité de ce qu’il dit, que le cœur est rempli d’une volupté pure quand on peint quelque trait de candeur ou de vertu, où brille dans tout son jour la plus tendre humanité, qui est le charme et la perfection de la nature.

Voici ce que l’on peut penser de la poésie de M. Gresset : brillante dans le coloris, fleurie dans l’expression, riche dans les rimes, harmonieuse dans les divers tons, gracieuse dans les peintures, fidèle dans les portraits, délicate dans les nuances, vive dans les saillies, fine dans les plaisanteries, ingénieuse dans les pensées, voluptueuse dans les sentiments. Elle coule avec douceur, avec mollesse et quelquefois avec négligence. C’est un canal pur qui arrose des jardins délicieux, et qui aime à serpenter dans des prairies émaillées de fleurs. Sa muse,