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la voiler d’une simple gaze, qui l’aurait rendue plus piquante, et par là plus dangereuse. Ce sera aussi par le même principe qu’il n’aura pas enveloppé sous le voile transparent des équivoques les obscénités dont il a souillé une partie de son ouvrage. On ne peut nier qu’il n’y ait des traits d’esprit et des lueurs d’imagination. Dans la première partie et la moitié de la seconde, l’imagination y est assez soumise à l’empire de la raison ; il serait à souhaiter que les plaisanteries et les galanteries qu’il y prodigue jusqu’à la satiété le fussent de même. Mais dans la suite l’amant passionné prend insensiblement le dessus sur le froid physicien, les saillies de l’imagination sur le flegme de la raison. Emporté loin de lui-même, il s’échauffe par son objet, s’égare, devient libertin, et ne se contient plus dans les bornes austères que prescrit la timide pudeur.


XI

Les comédiens ont remis, avec beaucoup de succès, sur le théâtre la comédie intitulée le Méchant. M. Gresset, si connu dans la littérature par plusieurs ouvrages qui portent l’empreinte d’un goût exquis, guidé par la finesse, épuré, embelli, en est l’auteur. Il a été jésuite, mais heureusement pour les lettres et grâce à son enjouement folâtre, il s’est affranchi des liens rigoureux qui captivaient son génie et qui ne lui permettaient pas de prendre son essor. Ses talents, qui languissaient dans la gêne extrême où les retenait l’austérité de sa profession, ont enfanté plusieurs jolies pièces où l’on trouve ce naïf agrément, ce ton du cœur, ce négligé charmant, qui le placent immédiatement après Voltaire. Rendu à la scène du monde, il a vu éclore un nouvel univers. L’amour, si fertile en sentiments, et toujours sévèrement banni de ses écrits, a osé mêler ses soupirs avec ses sons. Dans le tendre délire de ses transports, il a caressé la riante Thalie et a fait retentir sur la scène les fiers accents de Melpomène.

Dans sa tragédie d’Édouard, il y a de ces traits hardis, qui caractérisent Corneille, de ce grand, de ce touchant, de ce su-