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homme fort suffisant, et qui va dans les sociétés pour y juger, comme les autres s’y rendent pour plaire. Il parle avec une lenteur qui le rendrait insupportable à des gens moins vifs que les Français. M. de Maurepas dit de lui que, quand il a commencé une phrase aux Tuileries, il est au Pont-Neuf avant que de l’avoir finie. Ce sont deux lieux éloignés d’environ trois cents pas l’un de l’autre. Quelqu’un disait à Maupertuis que Rémond disait les choses aussi bien qu’on peut les dire après y avoir rêvé un quart d’heure : « Il est vrai, repartit Maupertuis, mais il est plus d’un quart d’heure à les dire. »

— L’Essai sur l’étude des belles-lettres, que l’abbé Mallet vient de publier[1], a pour but d’inspirer aux jeunes gens du goût pour les belles-lettres et de leur tracer un plan d’étude pour leur procurer le moyen de développer leur génie et leurs talents, trop communément négligés par leur faute ou par celle de leurs instructeurs. Il établit un ordre de lecture, et fait connaître quels sont les meilleurs écrivains à consulter sur chaque matière. Cet ouvrage est sensé, mais il n’est que cela, et cela ne suffit pas en France, où l’on veut du léger, du neuf, du singulier et même de l’extravagant. Quelqu’un m’a dit que les Français sont si curieux du bel esprit, que si Fontenelle ou Voltaire apprenaient à danser sur la corde, tous les Français le voudraient apprendre aussi.

— Les Lettres infernales[2] sont une mauvaise brochure, qui ne fait pas plus de fortune sous ce titre que sous un autre, sous lequel elle avait paru il y a quelques années. L’auteur se sert d’une pincette comme d’une baguette enchantée, continuellement occupé à relever un tison qui roule sans cesse, et dont l’agitation lui donne lieu de débiter une froide et impertinente philosophie, si j’ose ainsi profaner ce respectable nom, et de faire des portraits, qui, au défaut de la ressemblance, joignent encore celui d’être peints par un pinceau malhabile et grossier.

— La plus grande affaire qui puisse occuper les Français partage aujourd’hui tout Paris : il s’agit de juger un nouvel acteur de la Comédie-Française, appelé Ribou. Il a la figure

  1. Paris, 1747, in-12.
  2. Nous n’avons pu retrouver le titre exact du livre et le nom de l’auteur dont parle Raynal.