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blic ; ouvrage qui doit également intéresser l’acteur et le spectateur, puisque le premier y trouve des préceptes pour se former, se perfectionner même dans son art, et le second pour juger de l’art même. C’est un sujet vierge, sur lequel il est étonnant que personne ne se soit jamais exercé. Peut-être la difficulté de réussir a-t-elle seule occasionné un silence qui dure depuis la naissance du théâtre. En effet, comment se flatter de réduire à des règles certaines et de soumettre au raisonnement ce qui n’est que du ressort du sentiment ? Comment créer un système, suivre une théorie raisonnable sur un art qui dépend uniquement du goût, et sur lequel on pense si diversement ? M. Rémond n’a point été étonné de l’obstacle, quoiqu’il l’ait senti. On peut dire qu’il l’a vaincu. Son ouvrage n’a pas seulement le mérite de la nouveauté, il est encore ingénieux et solide. Peut-être trouvera-t-il des critiques, car il n’est pas exempt de fautes, mais, du moins, ne pourra-t-on pas refuser à M. Rémond une connaissance parfaite de l’art du théâtre ; une étude singulière, réfléchie, profonde ; un sentiment fin, délicat, judicieux, qui, s’il n’est pas toujours conforme à la vérité, en a du moins assez les apparences pour donner de la peine à ceux qui le voudraient combattre. C’est avoir un grand avantage, surtout dans une matière où tout le monde prétend être juge. On peut encore louer l’auteur d’avoir pu éviter l’écueil du préjugé et de la partialité dans un ouvrage où il ne pouvait pas se dispenser de parler des comédiens actuellement vivants. Il les loue sans fadeur et les blâme sans malignité. La première partie de l’ouvrage est consacrée aux qualités extérieures du comédien ; la seconde traite des talents naturels, du jeu, des grâces, de la variété, des finesses, en un mot de tout ce qui doit contribuer à l’illusion, soit dans le comique, soit dans le tragique ; cette partie est infiniment supérieure à l’autre. Vous trouverez cet ouvrage monotone, inégal et froid. On le loue d’être bien fondu ; je crois que cette symétrie, que nous prétendons avoir par-dessus tous les autres peuples, peut devenir un défaut, et l’est réellement dans l’ouvrage dont je parle. Les Anglais, pour se moquer des liaisons trop marquées dans nos écrits, disent que nous sommes des enfants qu’il faut toujours mener par la main.

M. Rémond est l’auteur de la gazette de France ; c’est un