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Ce qui confirme presque le sentiment du seul homme que nous ayons aujourd’hui en France pour la musique, M. Rameau, qui ne croit pas que les paroles d’un opéra contribuent au succès de ce divertissement, sentiment un peu humiliant pour les poëtes qui ont contre eux l’expérience. Tel fut le commencement du théâtre lyrique. Lulli et Quinault s’en saisirent dans ces circonstances : ces deux hommes uniques méritent d’être connus. Ce sera pour la première lettre que j’aurai l’honneur de vous écrire.


IX

C’est à Lulli et à Quinault que l’opéra doit ses plus beaux jours, et les véritables amateurs de la musique naturelle et de la poésie lyrique regrettent encore aujourd’hui ces deux grands hommes. Jean-Baptiste Lulli, né à Florence, vint en France à l’âge de douze ans ; il y fut amené par M. de Guise, que Mademoiselle avait prié de lui choisir un petit Italien qui put l’amuser. Quand cette princesse l’eut vu, elle ne le trouva pas à son gré, et elle le relégua dans sa cuisine. Lulli, qui avait appris autrefois un peu de musique, y trouva par hasard un violon et s’en amusa. Le comte de Nogent, un jour, l’entendit, lui trouva du talent et de la main, et en informa la princesse qui lui donna un maître pour le perfectionner. Dans ces circonstances, Mademoiselle lâcha un pet qui fit grand bruit et qui occasionna les vers suivants :


Mon cœur, outré de déplaisirs,
Était si gonflé de soupirs,
Voyant votre cœur si farouche,
Que l’un d’eux, se voyant réduit
À ne pas sortir par la bouche,
Sortit par un autre conduit.

Lulli eut l’imprudence de faire un air sur ces paroles. La chose devint publique, et le musicien fut congédié. Ses talents lui donnèrent bientôt une grande ; célébrité ; il fut choisi pour diriger la musique du roi. Dès ce jour-là il négligea si fort son