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frémissant : alors, n’écoutant plus que sa fureur, il lui tarde déjà de faire apprêter ce cœur comme un mets pour le présenter à sa femme. On sert ce repas cruel. Gabrielle, triste et tremblante, se met à table. Fayel l’excite, la presse de manger, elle se rend. À peine a-t-elle goûté à ce mets affreux : « Il doit te plaire, lui dit-il, c’est le cœur de ton amant. » À ces mots elle tombe sans vie ; mais craignant de perdre le fruit de sa vengeance, Fayel s’empresse de la rappeler à la lumière. Il la force de voir la lettre de son amant. D’une voix faible et mourante elle lit :


Bientôt je vais cesser de vivre
Sans cesser de vous adorer,
Content si ma mort vous délivre
Des maux qu’on vous fait endurer.
Elle n’a rien qui m’épouvante,
Sans vous la vie est sans attraits ;
Un regret pourtant me tourmente :
Quoi ! je ne vous verrai jamais !

Recevez mon cœur comme un gage
Du plus vif, du plus tendre amour ;
De ce triste et nouvel hommage
J’ose espérer quelque retour.
Daignez l’honorer de vos larmes,
Qu’il vous rappelle mes malheurs ;
Cet espoir a pour moi des charmes,
Je vous adore, adieu, je meurs.

Soudain un froid mortel la saisit ; elle veut répéter cet adieu si touchant ; mais elle expire en prononçant ces mots ; Je vous adore. En vain Fayel veut lui prêter de nouveaux secours, elle n’est déjà plus.

On peut juger du style de cette romance par les vers que je viens de citer. Tous les autres sont à peu près de même. L’auteur n’a pas assez conservé de naïveté et de simplicité qui convient à cette espèce de poëme et qui le fait goûter. Il faut avoir l’art d’intéresser, mais le cacher ; sans cela l’auteur, quoique duc, risque d’être plat et ennuyeux autant que le plus mince auteur bourgeois.