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capte la bienveillance des complaisants ou commensaux de la maison. En un mot, il doit tout caresser, jusqu’aux moindres domestiques ; le portier, pour obtenir ses entrées libres aux heures du repas ; le laquais, pour qu’il ne le laisse pas languir à table lorsqu’il demande à boire ; la femme de chambre enfin, parce que souvent le sort d’un livre dépend du jugement qu’elle en porte lorsqu’elle en fait la lecture à la toilette de sa maîtresse. Telle est, au vrai, la condition d’un auteur qui fréquente les bonnes maisons à Paris.

— Comme on n’a pas occasion de parler souvent des ouvrages des grands, je m’empresse de vous faire part d’une romance intitulée : les Infortunées amours de Gabrielle de Vergy et de Raoul de Coucy, dont M. le duc de La Vallière est auteur. Elle contient vingt-deux strophes ou couplets de huit vers chacun. Elle est d’une impression élégante et sur très-beau papier ; ce qui annonce la grandeur de son origine sans garantir la bonté de l’ouvrage, dont voici le sujet tiré du roman très-connu des Anecdotes de la cour de Philippe-Auguste.

Fayel, ayant épousé Gabrielle de Vergy, apprend que Coucy en est éperduement amoureux. La jalousie allume sa colère et malgré les preuves que sa femme lui donne de son innocence, il l’enferme dans une affreuse prison. Coucy frémit à cette nouvelle ; il ne peut plus vivre dans un lieu où il sait que sa maîtresse souffre pour lui les plus cruels tourments ; il se résout à s’exiler pour calmer du moins, par son absence, la jalousie du barbare Fayel et pour adoucir le sort de son amante. Il part et va combattre les Sarrasins. Déjà il revenait vainqueur, quand une flèche mortelle vient lui percer le flanc. Il tombe ; près d’expirer il appelle son écuyer et, d’une main qu’il conduit à peine, il écrit : « Va, lui dit-il ensuite, porte mon cœur à ce que j’aime avec ce billet. » Il expire en prononçant le nom de Gabrielle. Montlac exécute la dernière volonté de son maître, il s’embarque à l’instant pour la France, et arrive près du château où Fayel tenait sa femme enfermée. Montlac se déguise avec soin pour réussir plus sûrement. Fayel, que la jalousie ne laissait jamais en repos, l’aperçoit, le prend pour un de ses rivaux, l’arrête, croit le reconnaître, le perce de mille coups ; rien n’échappe à sa jalouse curiosité. Il fouille celui dont il est l’assassin. Quel plaisir pour lui de trouver le cœur de Coucy ! Il lit la lettre en