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de Julie. On imagine, pour égayer la belle solitaire, de prendre des habits d’homme et de lui parler conformément à ce déguisement. Lucile, pour placer là son frère, refuse cette partie et le fait accepter comme une amie à laquelle elle est extraordinairement attachée. Julie doit donner un prix à celle qui s’acquittera le mieux de son rôle et qui lui parlera d’amour le moins ennuyeusement.

Celle qui commence parle d’amour d’un ton précieux et avec une affectation qui révolte Julie. La seconde s’avance vers Julie d’un air vif et coquet, et parle le langage d’un petit-maître ; Julie sourit simplement et adresse poliment la parole à l’étrangère dont l’embarras est inexplicable. Julie la rassure. Alors cet amant déguisé s’exprime comme il pense ; il peint l’amour qu’il ressent avec toute la vivacité et toute la décence qui conviennent à un cœur véritablement touché. L’espérance, la crainte, le désir de plaire, l’animent tour à tour ; il prend successivement tous les tons du sentiment. Julie ne s’intéresse pas seulement à ses discours, elle lui répond avec feu, et convient qu’on ne peut parler de tendresse à la femme la plus indifférente sans lui causer d’émotion. L’intérêt redouble de part et d’autre ; Julie s’attendrit par degrés et donne le prix qui a été proposé à l’aimable étrangère. C’est là le moment de se déclarer. L’amant en profite et se jette aux genoux de Julie en lui demandant un plaisir plus flatteur. Julie, étonnée, accorde son cœur et sa main à celui qu’elle reconnaît pour son vainqueur. Cette pièce a été fort applaudie et a fait plaisir parce que tout se passe en action, et que le spectateur a sous les yeux un tableau fort bien dessiné ; l’ouvrage est faiblement écrit, mais la pièce a été parfaitement jouée.

La troisième est intitulée Aphos ; c’est une pièce allégorique en vers et en un acte, dont le but est de prouver qu’il n’y a pas de plaisir sans sentiment. Junon, détestant les désordres que les dieux commettent, dans le ciel, descend sur la terre pour chercher l’Amour qui tâche d’y réformer les abus qu’on fait de son pouvoir, surtout en France où les amants veulent triompher aussi rapidement que les guerriers. Junon et l’Amour commencent par se plaindre : la première, des débauches qui se commettent dans l’Olympe, et l’Amour, du mauvais exemple que les dieux donnent à la terre.