Page:Correspondance intime de l'amiral de La Roncière Le Noury avec sa femme et sa fille, 1855-1871. T. 1,.djvu/56

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préface biographique

commandant des canonnières de l’Adriatique, du chef d’état-major du ministre, organisateur et réformateur de notre marine, du grand manœuvrier commandant nos premières escadres cuirassées, du défenseur intrépide des forts de Paris ? Non seulement pas un de nos modernes cuirassés, mais pas même une barque française ne porte le nom de l’amiral de la Roncière Le Noury. Paris, dont sa ténacité et sa vaillance ont retardé la chute et sauvé l’honneur devant l’ennemi, n’a pas un écriteau qui rappelle sa mémoire. Évreux, si empressé à débaptiser ses anciennes rues pour en décorer un état-major dont la renommée n’a jamais franchi son enceinte, n’en a pas encore trouvé une pour ce grand Français, son enfant d’adoption.

En écrivant ces lignes, qui manquent peut-être un peu trop de cette philosophie qu’on doit avoir à un âge où l′on a eu le temps de connaître les hommes, il me semble revoir l’amiral. C’est un homme grand, taillé en force, à la démarche un peu lente et balancée comme celle qu’ont les marins sur le pont d’un navire qui roule. Des yeux à demi clos, doux et pleins de malice à leur ordinaire, un grand nez aristocratique, sur les joues deux sillons de rides, une bouche impérieuse, à la lèvre inférieure avancée qui devait donner à toute la figure, dans les moments de volonté ou de colère, une singulière expression de hauteur et de dédain. C’est bien lui… et je l’entends qui me tutoie comme autrefois et qui me dit : « C’est bien, tu t’es souvenu… Merci, petit. »

Joseph L’Hôpital.