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préface biographique

isoler de tout contact avec des troupes en déroute et des recrues plus ou moins indisciplinées ; pour y parvenir il assimila ses forts à une escadre. Dans l’avant-propos de son livre La Marine au siège de Paris, qui parut en 1872 [1], il explique ainsi sa pensée :

« Dès leur arrivée à Paris, nous avons enseigné aux marins à considérer un fort comme un vaisseau, à y observer les mêmes règlements, à y prendre les mêmes habitudes, à y suivre le même régime en un mot. On y employait le même langage qu’à bord : on faisait partie de l′équipage de tel ou tel fort, et on ne pouvait sortir du fort sans demander la permission d′ aller à terre. Les parapets étaient les bastingages, les embrasures les sabords. Le dimanche c’étaient les mêmes distractions qu’à bord. Outre les jeux gymnastiques et les assauts, triomphe des prévôts et des maîtres d’armes, le loto, ce whist des matelots, en faisait le plus souvent les frais. Et la marchande venait tous les jours, comme à bord, à des heures prescrites, étaler à une place déterminée, aux yeux de l’équipage, des vêtements, des vivres et de menus objets de luxe soigneusement contrôlés d’avance par le capitaine d’armes et l’officier en second. »

L’amiral eut ainsi tout de suite en mains une force homogène, une élite militaire qui devait jouer dans la défense de Paris un rôle très grand et valoir à son chef une situation personnelle qui ne cessa de grandir jusqu’à la fin de la guerre.

En attendant, pendant ce terrible mois d’août de 1870, il était hanté par les pressentiments les plus pessimistes ; il voyait venir la révolution et l’ennemi. Il ne parvenait à dominer ses angoisses patriotiques qu’en se confinant dans son commandement, en faisant dégager les abords de ses forts et repérer les distances, en pressant l’arrivée

  1. vol. in.8, Plon, Paris.