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préface biographique

tère ; le commandant n’en manquait point. Très fin, très habile, sachant au besoin, mieux que personne, manœuvrer les puissants et ménager les circonstances, il n’était pas homme à s’abstenir lorsqu’il lui plaisait d’agir ni à se taire quand il voulait parler : il n’accepta jamais le rôle de flatteur ni celui de complaisant. Cette attitude haute ne lui nuisit point sous l’Empire, parce que le souverain avait assez de grandeur d’âme pour l’apprécier et parce qu’il avait son franc parler avec le cousin ; mais elle devait plus tard, sous la troisième République, causer la fin brutale de sa carrière de marin.

Il appareilla de Cadix par un soleil déjà brûlant et entra dans la rade de Saint-Pierre à la fin de mai, c’est-à-dire encore en hiver ; il se mit aussitôt à l’œuvre. Jusqu’en octobre, où il rejoignit Brest, il ne cessa d’inspecter nos pêcheries, de faire à leur profit la police des côtes de Terre-Neuve en écartant du French Shore les Anglais qui s’y étaient établis, et de négocier diplomatiquement à Sydney et à Halifax avec les autorités britanniques. Afin d’affirmer là-bas non seulement l’intérêt que portait la France à ses nationaux, mais aussi la puissance et la valeur de la marine française, il affronta lui même et imposa aux navires sous ses ordres les explorations les plus audacieuses. Déjà familiarisé avec la navigation arctique par sa croisière sur la Reine-Hortense et, cette fois ci, n’ayant pas de prince à bord, il donna toute carrière à ses qualités de chef. Il étonna, effara même quelquefois les rudes marins qu’il avait ralliés et qu’il entraînait dans la brume et les tourbillons de neige au milieu des courants et des récifs, jusque dans des havres où jamais n’étaient entrées que des barques et où la plus petite faute pouvait perdre un bateau.

Cette campagne de Terre-Neuve valut à La Roncière une réputation de manœuvrier qu’il devait porter au plus haut degré quelques années plus tard, lorsqu’il commanda