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LA CROISIÈRE DE LA « REINE HORTENSE »

Mon premier projet avait été d’aller d’Arsut à Julianliaab, port situé à quarante lieues au sud-est et que les glaces rendent toujours d’un abord très difficile pour les grands bâtiments. Mais, en partant d’Arsut, j’ai trouvé le temps très brumeux en pleine mer, et les glaces accumulées par le coup de vent de la veille dans la direction où je voulais aller. J’ai donc dû renoncer, à mon très grand regret, à aller dans ce port.

Je vais directement du Groënland aux Shetland en passant par les îles Feroë. C’est pendant cette traversée que je t’écris. Le premier jour s’est bien passé, mais le 4 et le 6, j’ai eu les coups de vent les plus forts que j’aie jamais essuyés. Je n’avais encore jamais vu la mer aussi grosse, même au cap Horn. Du reste le cap Farewell, dont nous étions à une vingtaine de lieues, a pour le mauvais temps la même réputation que le cap Horn et que le cap de Bonne-Espérance. Depuis ce coup de veut, nous avons continué à avoir gros vent debout. Nous avançons très lentement et je crains, si cela continue, que ma traversée aux Shetland soit très compromise et que je sois obligé d′aller chercher à grand’peine à la voile quelque port d’Écosse. Au moment où je t’écris, je suis encore à trois cents lieues des Féroé, et à trois cent soixante-dix des Shetland avec gros vent et grosse mer debout. Tu comprends comme cela m’impatiente, d’autant plus qu′excepté le Prince, tous mes passagers tempêtent parce qu’ils ont peur d’une part, et le mal de mer d’une autre. Enfin, Dieu aidant nous verrons comment cela tournera. L’affaire du Groënland est finie, c’est une grande difficulté vaincue, un grand point atteint. Je te terminerai cette lettre avant d’être aux Shetland. J’expédierai de ces îles un courrier en France.