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Monsieur, Plust à dieu n’auoir point de si légitimes escuses à vous faire comme les miennes. Peu de temps après auoir fet résolution de finir vostre tableau, mesme y aïant desjà fet quelques figures, un mal de vesie auquel je suis subiect, de quatre ans en sà, m’a trauaillé de manière que, dès lors jusques à présent, j’ay esté entre les mains des Médecins et Chirurgiens, tourmenté comme un danné ; mais, grâce à dieu, je me porte mieux, et espère que la santé me retournera comme deuant. Mais il faut que je die, que la mélanquolie que je me suis prinse de ne pouuoir suivre la bonne volonté que j’auois d’acheuer vostre tableau, m’a fet plus de mal que nulle autre chose ; et pensant tousiours à la promesse que je vous auois fette, m’en voyant empesché, j’ay voulu désespérer. Mais maintenant je me sens tourner le desir plus grand que jamais de vous seruir. Je m’en vas donc pousuiure, sans perdre une heure de temps. Pour la résolution que Monseigneur de Noyers désire scauoir de moy, il ne faut point s’immaginer que je n’ayes esté en grandisime doute de ce que je deuois respondre ; car après auoir demeuré l’espace de quinze ans entiers en ce pais icy, assés heureusement, mesmement m’y estans marié[1], en espérâse di mourir, j’avois conclu en moy mesme de suiure le dire Italien : Chi sta bene non si moua. Mais après auoir repceu une seconde lettre de la main du seigneur Le Maire[2], en la fin de laquelle il y a une jointe

  1. Poussin avait épousé Anne-Marie Dughet, fille aînée du peintre de ce nom, le 9 août 1630, à l’église San Lorenzo in Lucina (folio 173 du registre des mariages).
  2. Il y eut alors trois peintres du nom de Lemaire. Il s’agit ici du plus connu : Jean Le Maire, dit le gros Lemaire, ou encore Le Maire Poussin, à cause de son amitié avec notre artiste. Né à Dammartin, 1597, il séjourna vingt ans à Rome,