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CHAPITRE IV.

radeau dont l’installation devait à la vérité inspirer peu de confiance.

L’un d’eux, le capitaine Beinière, se plaça dans la grande chaloupe avec 36 de ses soldats. On nous avait dit que cette troupe était chargée de surveiller la marche des autres embarcations, et de faire feu sût celles qui voudraient abandonner le radeau. Il est vrai, comme on l’a vu plus haut, que quelques braves soldats, écoutant peut-être plus alors la voix de l’humanité et de l’honneur français que les rigoureuses maximes de la discipline, auraient voulu se servir de leurs armes contre les lâches qui nous abandonnaient, mais leur volonté et leur mouvement avaient été paralysés par l’obéissance passive qu’ils devaient à leurs officiers, qui s’opposèrent à cette résolution.

L’autre, M. Danglas, lieutenant, sortant des gardes-du-corps, s’était d’abord embarqué avec nous sur le radeau, où son poste était désigné ; mais lorsqu’il vit le danger qu’il courait sur cette effrayante machine, il se hâta de la quitter, sous prétexte qu’il avait oublié quelque chose sur la frégate, et ne reparut plus. Ce fut lui que nous vîmes s’armer d’une carabine et menacer de faire feu sur le canot du gouverneur lorsqu’il commença à s’éloigner de la frégate. Ce mouvement, et quelques autres démonstrations que l’on prit pour de la folie, manquèrent de lui coûter la vie ; car pendant qu’il se livrait ainsi à une sorte d’extravagance, le capitaine prit la fuite en l’abandonnant sur la frégate, parmi les soixante-trois hommes qu’il y laissa