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NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

encore plus de quatre-vingts hommes qui poussaient des cris de désespoir et voyaient trois embarcations et le radeau qui prenaient le large. Les trois canots qui nous remorquaient nous eurent bientôt éloignés du bâtiment. Ils avaient bon vent, et les matelots ramaient comme des hommes qui voulaient se sauver du péril imminent qui nous environnait. La chaloupe et la pirogue étaient à une certaine distance et essayaient de retourner à bord ; enfin M. de Chaumareys s’embarqua dans son canot par une des manœuvres de l’avant : quelques matelots s’y précipitèrent et larguèrent les amarrages qui le retenait à la frégate. Aussitôt les cris des hommes qui restaient à bord redoublèrent, et M. Danglas, officier de troupe de terre, prit même une carabine pour faire feu sur le capitaine ; on le retint.

Au reste, la manière dont M. de Chaumareys abandonna tout son monde acheva de le montrer au-dessous de ses fonctions, ainsi qu’on avait déjà pu le juger durant tout le cours de la navigation. La lâcheté avec laquelle on le vit dans cet instant critique trahir tous ses devoirs, manquer non-seulement aux obligations de sa place, mais même aux droits les plus sacrés de l’humanité, excita un soulèvement général d’indignation. On regrettait qu’on eût arrêté le bras de l’officier et des matelots armés pour prévenir ou punir tant de bassesse ; mais le mal était fait, il était irréparable. Le réparer n’était pas d’ailleurs la pensée du capitaine, et il ne pouvait plus revenir à bord, car il était sûr d’y