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CHAPITRE III.

mens de vibration comme un gros serpent qui remue. À deux heures du matin le ciel se couvrit de nuages affreux ; les vents venaient du large et soufflaient avec force. La mer devint encore plus grosse et la frégate recommença à donner de plus forts coups de talon, qui se multipliaient en augmentant de violence. À chaque instant nous nous attendions à la voir s’entrouvrir ; la consternation devint de nouveau générale, et nous acquîmes bientôt la certitude cruelle que le bâtiment était perdu sans ressource. À trois heures, le maître calfat vient dire au commandant qu’une voie d’eau s’est ouverte et que le bâtiment va s’emplir. On se jette aux pompes, mais inutilement ; la carcasse était fendue. On abandonne tout moyen de sauver la frégate, pour ne plus songer qu’au salut des hommes : et en effet, elle creva au milieu de la nuit ; sa quille se brisa en deux parties ; le gouvernail se démonta et ne tint plus à l’arrière que par ses chaînes ou drosses, ce qui lui fit faire un ravage épouvantable. Il produisit l’effet d’un fort bélier horizontal, qui, ébranlé avec violence par la vague, frappait à coups redoublés dans la poupe du navire : aussi tout le derrière du parquet de la chambre du commandant fut-il soulevé ; l’eau entrait d’une manière effrayante. Bientôt aux dangers de la mer vinrent se joindre les premières menaces du danger des passions soulevées par le désespoir et dégagées de tout frein par le sentiment impérieux de la conservation personnelle. Vers les onze heures il éclata une espèce de révolte, suscitée