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CHAPITRE III.

que ce plan était parfaitement conçu, et qu’il eût été couronné du succès ; par malheur ces décisions furent tracées sur un sable léger que dissipa le souffle de l’égoïsme.

Le soir, vers les deux heures, une autre ancre à jet fut mouillée à une assez grande distance de la frégate. Un instant avant la pleine mer, on commença à virer au cabestan, mais toutes les manœuvres furent infructueuses. Les travaux furent remis à la marée du lendemain matin. Pendant tout ce temps, les mouillages s’exécutèrent avec les plus grandes peines ; la mer était houleuse, les vents forts et du large. Les embarcations qui voulaient aller au loin, soit pour sonder ou pour y mouiller des ancres, ne gagnaient qu’après les plus grands efforts ; des courans rapides augmentaient encore les difficultés. Si le temps ne nous eût pas si puissamment contrariés, peut-être que le lendemain le bâtiment aurait été mis à flot, car il avait été décidé qu’on élongerait de fort longues touées ; mais la force du vent et de la mer renversèrent ces dispositions qu’un calme seul eût pu favoriser. Le temps fut mauvais pendant toute la nuit. Vers les quatre ou cinq heures, à la marée du matin, tous les moyens qu’on employa pour relever la frégate furent encore inutiles ; nous commençâmes à désespérer de pouvoir jamais la retirer de ce danger. Les embarcations furent réparées, et l’on travailla avec activité à la construction du radeau. Notre existence, pendant tout ce temps-là, était des plus singulières. Nous travaillions tous, soit