Page:Corréard, Savigny - Naufrage de la frégate La Méduse, 1821.djvu/40

Cette page a été validée par deux contributeurs.
40
NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

Il s’en fallait cependant que cette fatale et aveugle confiance fût partagée par tout le monde. Qu’on juge particulièrement de toute la contradiction, de tout le dépit que faisait éprouver à M. Corréard cette misérable fête si long-temps prolongée, lui qui connaissait très-bien cette côte pour la plus perfide et la plus redoutable qui existe. Il était dans un état difficile à décrire, en voyant de toute part l’indifférence, l’oubli des précautions les plus ordinaires. Aussi, prenant avec le médecin Estruc, qui a beaucoup navigué, le rôle trop fidèlement répété de Cassandre, tous deux disaient à qui voulait l’entendre qu’on allait se jeter à la côte ou tout au moins sur le banc d’Arguin, qui, selon une instruction que nous avions à bord, s’étend à plus de trente lieues au large[1]… On rit de nos prédictions. Que ne fûmes-nous en effet de faux prophètes ? Que n’avons-nous été privés du funeste avantage de voir bientôt l’affreux événement justifier nos craintes et détromper cruellement nos incrédules railleurs ?

Enfin nous eûmes pour le moment la satisfaction de voir un officier du bord, M. Lapérère, partager nos craintes et sentir le danger. Cet officier prit sur lui de mettre fin aux jeux bruyans de l’équipage et de faire précipitamment changer de route sans consulter le capitaine, ce qui amena une discussion assez

  1. On trouve cette description du banc d’Arguin, dans un petit livre intitulé : le Flambeau de la Mer.