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NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

placèrent sur leurs portes et invitèrent les voyageurs à entrer chez elles avec cet accent de volupté auquel le ciel brûlant de l’Afrique imprime une si vive énergie, et que toute leur physionomie fait entendre d’avance aux yeux les moins exercés. Tout cela se passait en présence des amans ou des maris qui n’ont point le droit de le défendre, parce que la sainte Inquisition le veut ainsi, et que les légions de prêtres qui y pullulent ont grand soin de nourrir cet usage, indigne d’un peuple civilisé, et de veiller à sa conservation, parce qu’ils y trouvent leurs intérêts. Ils possèdent l’art commode d’aveugler ces pauvres maris, au non même de la religion dont ils font un révoltant abus. Ils savent les guérir de leur jalousie, maladie à laquelle les Espagnols sont très-sujets, en leur donnant l’assurance que cette passion qu’ils qualifient de ridicule et de manie maritale, n’est qu’un effet des persécutions de Satan qui les tourmente, et dont eux seuls sont capables de les préserver, en inspirant des sentimens religieux à leurs compagnes.

Mais sans nous arrêter plus long-temps à des détails qui, pour n’être pas essentiellement liés à notre sujet, nous ont cependant paru pouvoir offrir quelqu’intérêt au lecteur, revenons aux manœuvres de la frégate. Le soir, vers 4 heures, le canot étant revenu à bord, les voiles furent orientées et nous cinglâmes en pleine mer.