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NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

me fait plaisir… — Oui, bon vieillard, je le suis… » Alors le noir chercha à prendre un certain air de dignité pour prononcer le nom Français et dit : « Ta nation est la plus puissante de l’Europe, et parle courage et par la supériorité de son génie ; est-ce vrai ?.. — Oui. — Il est vrai que vous autres Français vous n’êtes pas des blancs comme ceux que j’ai vus des autres nations de l’Europe ; aussi cela ne m’étonne point ; et puis, vous êtes tout feu et aussi bons que nous autres noirs. Tiens, toi, tu ressembles à Durand par la vivacité et la taille ; tu dois être aussi bon que lui. Es-tu son parent ? — Non, bon vieillard, je ne suis point son parent, mais j’ai beaucoup entendu parler de lui. — Ah ! tu ne le connais pas comme moi, vois-tu ; il y a trente ans qu’il vint ici conduire son ami Rubault, qui partait pour Galam. Ce Français, dont j’ai appris la langue à Saint-Louis, nous combla tous de présens ; je conserve encore un petit poignard qu’il me donna, et je t’assure que mon fils le conservera aussi long-temps que moi. Nous autres, vois-tu, nous nous rappelons toujours les blancs qui nous ont fait du bien, et surtout les Français, que nous aimons beaucoup. — Eh bien ! lui répondit M. Corréard, je suis bien fâché de n’avoir rien qui puisse te convenir et se conserver long-temps, je te l’offrirais avec plaisir, et tu unirais mon souvenir à celui du philantrope Durand, qui avait conçu des plans qui, s’ils eussent été exécutés, auraient peut-être fait le bonheur de ton pays et la gloire du mien ; mais tiens, prends ma poudre et mon plomb, si cela peut