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CHAPITRE XV.

dans quelques arbres d’Europe, continue à croître, à s’étendre, et finit enfin par recouvrir ou tapisser tout l’intérieur, presque toujours alors sans rides ni gerçures, et offre ainsi le spectacle étonnant d’un arbre immense recomplété dans son organisation, mais ayant la forme d’un énorme cylindre creux ou plutôt d’une vaste paroi arborescente pliée en cercle, et dont les côtés sont suffisamment écartés pour laisser pénétrer dans son enceinte. Si, en jetant les yeux sur le dôme immense de verdure qui forme le comble de cet agreste palais, on voit se jouer dans son feuillage une foule d’oiseaux parés des plus riches couleurs, tels que des rolliers au plumage bleu de ciel, des sénégalis couleur de carmin, des souï-mangas brillant d’or et d’azur : si, en pénétrant sous cette voûte, on y trouve de toutes parts suspendues sur sa tête des fleurs éblouissantes de blancheur, et qu’au centre de cet arbre, un vieillard et sa famille, une jeune mère et ses enfans s’offrent enfin à vos regards, quel torrent d’idées délicieuses ne vous pénètre pas en ce moment ? qui ne resterait confondu de la prévoyance généreuse de la nature ? et quel est l’homme qui, à ce spectacle ravissant, ne se sentirait transporté d’indignation, s’il voyait des Maures féroces violer cet asyle de la paix, et enlever à cette famille quelques-uns de ses membres pour les livrer à l’esclavage ? Il faudrait les pinceaux de l’auteur de la Chaumière indienne pour retracer convenablement un pareil tableau.

Cependant ce n’est pas là le seul service que les