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CHAPITRE XI.

et nos cœurs palpitèrent de joie : nous comptions tous revoir nos infortunés compatriotes, qui avaient été abandonnés sur la frégate, et en outre recouvrer quelques hardes dont nous manquions entièrement. La goélette franchit la barre, et en moins de quelques heures, elle eut parcouru l’espace qui la séparait de nous. Courir au port, aborder le bâtiment et demander combien il y avait d’infortunés de sauvés, fut l’affaire d’un instant. On nous répondit que trois existaient encore, et que quatorze étaient morts depuis notre départ : cette réponse nous altéra. Nous nous informâmes ensuite s’il avait été possible de sauver des effets ; on nous répondit que oui, mais qu’ils étaient de bonne prise. Nous ne concevions pas cette réponse, mais on nous la répéta ; et nous apprîmes, pour la première fois, que nous étions en guerre avec des Français, parce que nous avions été excessivement malheureux.

Dès le lendemain la ville fut transformée en une foire publique qui dura pendant au moins huit jours. Là, on vendait des objets appartenant à l’état, et à ceux des malheureux naufragés qui avaient péri ; ici, c’étaient les habillemens de ceux qui vivaient encore ; plus loin, c’était l’ameublement de la chambre du commandant lui-même ; ailleurs, on voyait les pavillons du bord ( série de signaux composée de pavillons de diverses couleurs) que des noirs achetaient pour se faire des pagnes ou des manteaux ; autre part, on vendait le gréement et la voilure de la frégate ; puis